F. Mascarell: « En Catalogne, jamais on ne regardait vers Madrid, mais toujours vers Paris »

 

A 62 ans, Ferran Mascarell, Conseiller à la Culture du gouvernement catalan, a derrière lui une longue carrière alternant entreprises privées et institutions publiques. Historien de profession et indépendantiste notoire, il a entre autres participé à des projets tels que le CCCB, l’Ateneu ou le réseau de bibliothèques, a fondé deux magazines, écrit plusieurs livres, présidé la SGAE de Catalogne et l’Association de la Presse en langue catalane. Rencontre et interview exclusive avec l’homme fort de la culture en Catalogne.

Propos recueillis par Leslie Singla et Nico Salvado.

Equinox Radio : Comment imaginez-vous les nouvelles lois dans le domaine de la culture en cas d’indépendance ?

Les nouvelles lois seront relativement simples, elles feront référence à toutes celles qui, à travers le Parlement, ont déjà créé une base solide. Par exemple, la propriété intellectuelle, le mécénat, le niveau de la TVA et le financement général du secteur culturel.

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 les marqueurs pour défimascarell_oficialnir la droite et la gauche aujourd’hui n’existent plus

ER : Vous avez fait partie du Parti Socialiste Catalan, vous appartenez aujourd’hui à un gouvernement CiU (NDLR : centre droit) et vous avez proposé il y a un mois un nouvel impôt applicable aux opérateurs internet afin de financer le secteur audiovisuel catalan. Restez-vous de gauche ?

FM : J’ai longtemps été au PSC, maintenant je suis indépendant, je ne suis dans aucun parti politique. C’est très commode car cela permet de dire, faire et penser d’une manière très commode. Je crois qu’il faut être assez clair, les marqueurs pour définir la droite et la gauche aujourd’hui n’existent plus. Je propose une taxe basée sur le modèle français car c’est un modèle que nous avons toujours pris comme référence. Je crois en la nécessité de déterminer une exception culturelle. Je crois en la nécessité de donner un soutien au contenu audiovisuel produit en Catalogne pour avoir un haut degré de production et de qualité. Cela nécessite des moyens économiques dans un pays comme le nôtre et les moyens que nous recevons de Madrid sont très faibles et inférieurs à ceux qu’ils devraient être. C’est pour cela que nous devons inventer des choses. Je ne suis pas partisan des impôts. Je crois que cela affecte autant les personnes que les entreprises, mais il est nécessaire que nous le mettions en place.

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ER : Vous êtes très radical envers l’Espagne, et sur une page internet  du Département de la Culture de Catalogne, vous faites uniquement la promotion des auteurs de langue catalane. N’êtes-vous pas intéressé par la culture espagnole ?

FM : Ce n’est pas vrai ! C’est un préjudice et même de la désinformation, car d’une manière générale le travail que nous avons développé a toujours été favorable d’une manière égale aux auteurs qui écrivent en catalan et à ceux qui n’écrivent pas en catalan. Nous appuyons le secteur éditorial dans toutes ses dimensions. Nous avons toujours défendu, et c’est de notoriété publique, que le secteur éditorial catalan qui produit en catalan cohabite avec celui qui produit en espagnol. Par ailleurs il y a un bon niveau éditorial en catalan comme en espagnol.

Historiquement le site internet auquel vous faites référence était dédié aux auteurs qui s’exprimaient uniquement en catalan. Dans moins de six mois, ce site sera traduit en espagnol, en anglais et un peu plus tard en français. Et il incorporera en premier lieu les auteurs espagnols qui écrivent en catalan et ensuite il incorporera les auteurs espagnols qui vivent, travaillent et produisent en Catalogne.

Nous travaillons conjointement avec la Mairie de Barcelone et la Generalitat pour soutenir ces auteurs car ils sont le patrimoine catalan. D’ailleurs cette tradition s’inscrit dans une histoire très ancienne. Ce n’est pas par hasard si Cervantes a découvert l’imprimerie à Barcelone, ce n’est pas par hasard si il y a ici une très bonne bibliothèque cervantine à la bibliothèque nationale de Catalogne. Nous n’avons aucun problème avec la culture catalane, ni avec la culture espagnole. Le seul problème que nous avons, c’est qu’un certain groupe de personnes refuse d’accepter la dignité de la culture catalane.

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 La culture française est une référence sans laquelle nous ne pourrions expliquer la culture catalane.

Quelle est l’importance de la culture française en Catalogne et quels sont les échanges culturels qui existent entre les deux pays ?

La culture française est une référence sans laquelle nous ne pourrions expliquer la culture catalane. Historiquement cela a toujours été ainsi. Durant la moitié du 19ème siècle nous avons connu la Renaxaiça qui fut un mouvement de renaissance culturelle très similaire à ce qui s’est passé en Europe à la même époque. Ensuite il y a eu le modernisme, le néoromantisme, à partir des années 30, durant la République et jusqu’en 1970. A cette époque, tous les mouvements culturels qui ont été générés à Barcelone et en Catalogne ont eu la France et concrètement Paris comme point de référence. Jamais on ne regardait vers Madrid, on regardait toujours vers Paris. En 1970, on a commencé à regarder vers New-York.

La culture française en général a toujours été la plus intense. Quand un écrivain, un peintre, un photographe catalan, un directeur de cinéma voulait percer sur la scène mondiale, il allait à Paris. A un moment donné, ils allaient directement en France et à d’autres moments ils utilisaient des institutions comme l’Institut français de Barcelone qui dans les années 40-50 a joué un rôle essentiel. L’avant-garde barcelonaise n’avait pas assez de marge d’expression et l’Institut français les connectait avec la vie culturelle française. La génération de Tapies ou du Bruixe a trouvé à l’Institut français son lieu d’internationalisation. D’une manière générale, bien que le monde soit devenu plus transculturel, le français reste la deuxième langue de traduction de la littérature catalane. En 1960 – 70, la musique française a grandement inspiré le mouvement culturel catalan.

La France est une grande puissance culturelle et nous l’avons toujours admirée.

ER : Quels sont les événements culturels français que vous aimeriez importer en Catalogne ?

FM : La France fait le meilleur festival de théâtre qui se fait en Europe, en Avignon. Nous ne voulons pas l’importer mais avoir une présence renforcée. En France a lieu également le meilleur festival mondial de bandes dessinées à Angoulême. Cet événement, j’aimerais l’importer avec toute son intensité. En Catalogne nous organisons un festival de bandes dessinés qui est très bien mais Angoulême reste Angoulême. La France est une grande puissance culturelle et nous l’avons toujours admirée.

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Le pays (catalan) est fatigué de cette rhétorique d’un certain espagnolisme.

 ER : Nous savons que c’est la Mairie de Barcelone qui l’organise mais que pensez-vous du fait qu’il y ait de moins en moins d’artistes internationaux au festival de la Mercé ? Est-ce une tendance au repli culturel ?

Non, c’est simplement une expression du mouvement que nous sommes en train de vivre. Cela correspond davantage aux difficultés que nous rencontrons qu’à notre désir d’ouverture. La culture catalane est, et a toujours été, profondément universaliste. Un pays comme le nôtre s’est toujours alimenté du regard extérieur. Le modernisme fut un mouvement qui a toujours brisé les frontières, c’est-à-dire que nous regardons le monde, nous regardons l’Europe, nous regardons Paris. Le pays est fatigué de cette rhétorique d’un certain espagnolisme. L’Etat espagnol ne nous a pas bien traités, nous a déconsidérés et nous a porté préjudice. C’est pour cela que tous les jours, nous avons ce fameux débat (NDLR : débat sur l’indépendance de la Catalogne). Ceci étant dit, le lieu qui a eu le plus d’échanges interculturels a toujours été Barcelone.

Écouter l’interview intégrale de Ferran Mascarell

 

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