Une ville catalane dirigée par le FN ?

 

Il ne reste qu’une seule ville de plus de 100 000 habitants en France qui pourrait être gagnée par le Front National-Rassemblement Bleu Marine lors du deuxième tour des municipales du 30 mars prochain: Perpignan, la capitale catalane française. Le un parti comme le FN garde de fortes probabilités de victoire dans cette ville voisine de Barcelone. Analyse.

Par N. Salvado

Le vote PS est tombé aussi vite que les immeubles du centre-ville délabré de Perpignan (deux édifices se sont encore écroulés durant la campagne). Le représentant du parti d’Hollande n’a même pas atteint les 12%. Celui-ci s’est désisté plus ou moins volontairement sans appeler « ses » électeurs à voter pour le maire sortant UMP Jean-Marc Pujol. Le candidat PS réfute d’ailleurs le terme de front républicain. A défaut de Front Républicain, on a plutôt l’impression d’assister à un jetage d’éponge du candidat PS. Par ailleurs, la candidate du centre Clotilde Ripoull n’a pas réussi à à trouver un accord ni avec le PS, ni avec le candidat d’EELV et s’est retrouvée hors jeu malgré ses quasiment 10 % . Quant à Jean Codognès, candidat EELV, ses 5% l’ont disqualifié  pour toute négociation.

Selon l’historien Nicolas Lebourg contacté par Equinox Magazine,  « le premier tour montre la décomposition de l’écosystème politique roussillonnais basé sur les piliers JP Alduy (à droite) et Christian Bourquin (chef du PS local). C’est de ce vide que provient la dynamique Aliot : il récupère tous les exclus des systèmes clientélistes qui espèrent provoquer une redistribution des bénéfices. »

L’inconnue du report des voix

Le PS et la gauche vont disparaitre du conseil municipal de Perpignan pendant 6 ans. On peut imaginer que les militants de la gauche ne vont pas se bousculer pour faire la campagne de JM Pujol. Celui-ci va t-il bénéficier d’un report massif des voix de la gauche et du centre ? Rien de moins sûr, car pour l’électeur à tendance progressiste, la différence entre le candidat Aliot et le programme du  maire sortant paraît bien mince.

A contrario, les électeurs de droite vont-ils se mobiliser pour Louis Aliot ? On pourrait être tenté de répondre par l’affirmative. Le désistement du PS, renforce l’argument, cher au FN, de l’UMPS et donne l’impression que la droite qui dirige la mairie depuis 1958 et la gauche qui tient la région et le département cherchent à se repartir les postes. Difficile dans cette configuration pour le maire sortant de jouer sur son image de « droite décomplexée ». La tentation pour l’électorat très à droite (sur-représenté à Perpignan) de vouloir changer de système peut profiter au candidat FN.  Les scores élevés du parti de Marine Le Pen dans les villes « cousines » de Perpignan comme Béziers ou Marseille pourraient créer en outre un effet de contagion.

L’implantation réussie d’Aliot à Perpignan

Force est de constater que le candidat frontiste a plus que réussi son implantation à Perpignan. Le vote gitan, qui était acquis depuis des décennies  à l’UMP, vient d’offrir dans les 3 bureaux à forte dominante de cette communauté 33,57%, 28,44% et 24,56% au FN  . La surprise est de taille car la mairie UMP au pouvoir depuis 1958 est régulièrement montrée du doigt pour des procédés plus que douteux dans les bureaux de vote de Saint-Jacques, comme s’en est émue, entre autres, la candidate progressiste Jacqueline Amiel-Donat.

Une autre communauté a accueilli à bras ouvert Louis Aliot: les pieds-noirs, harkis et leurs descendants qui represente plus de 5% de l’électorat de la ville. Preuve en sont les 45.7 % obtenus par le FN dans le bureau Vertefeuille du quartier du Moulin à Vent, qui a accueilli il y a 50 ans de nombreux rappatriés d’Algérie . Cette communauté fortement implantée dans tout le sud-est de la France oscille lors des différents scrutins entre les candidats de la droite et ceux du FN. Le parti pied noir a publiè un communiquè soutenant officiellement Robert Menard à Beziers et Louis Aliot à Perpignan. Le maire sortant UMP est lui même pied-noir et s’adresse à eux avec régularité. Un exemple traduit cependant la complexité du scrutin: Louis Aliot mentionne dans ses discours Paul Alduy qui a fait énormement pour les rapatriés. Triangulation politique quand on sait que l’adversaire d’Aliot, le maire sortant, est l’héritier républicain de Paul Alduy.

Les handicaps du maire sortant

L’élection de 2014 promettait d’être historique, car pour la première fois depuis 1958, aucun bulletin au nom d’Alduy (père ou fils) n’était disponible dans les bureaux de vote. Cette élection tient ses promesses de suspense avec un maire en grande difficulté, handicapé triplement par le fait d’être sortant, non-élu (il a été nommé par JP Alduy) et distancé de 4 points au premier tour par le FN.  Une avance qui réjouit Louis Aliot, contacté par la rédaction d’Equinox Magazine. Selon lui, les résultats de dimanche dernier s’expliquent par la présence au premier tour de neuf listes sur Perpignan,une configuration qui a saupoudré les votes de rejet du Maire actuel vers d’autres candidats dissidents jouissant d’une certaine popularité au niveau local et de programmes concurrençant le sien ».

Y-a t-il eu un effet vote utile envers le maire sortant de peur que la ville tombe à gauche ? Le candidat FN en est convaincu et pense que désormais, la « menace socialiste » étant évitée, il va créer le rassemblement: « désormais, c’est à moi de convaincre que face au maire sortant j’incarne non seulement ce vote utile, mais aussi le vote sanction et le vote d’adhésion à mon programme très local. Je dispose de propositions pragmatiques pour faire avancer la Ville sans affecter le porte-monnaie des contribuables, juste le retour du bon sens en somme. »

Bien évidement comme dans toutes les villes du sud-est, la sécurité est un thème majeur de ces élections. Le maire sortant sait qu’il doit affronter son bilan en la matière. Il reconnaissait au soir du premier tour qu’il y avait eu dans son parti des « reculades, des approximations et des hésitations » qui avaient fait monté le FN.

Ville pauvre, citée française la plus éloignée géographiquement du centre du pouvoir parisien, il souffle sur Perpignan un vent d’anti-système. De ce point de vue, le maire Pujol, qui se retrouve à tort ou à raison amalgamé à JP Alduy et au président de la région PS Christian Bourquin, pourrait se retrouver déraciné.

Et si, en fin tacticien, Louis Aliot s’était donné un coup de pouce en faisant volontairement dérapé ses doigts sur le clavier de son téléphone ? La veille du premier tour, une journaliste du journal local l’Indépendant recevait un sms d’Aliot, apparemment destiné à une autre personne, la traitant de « pute ». Tollé dans les colonnes de l’Indépendant, Libération, Twitter etc… Si Louis Aliot avait voulu travaillé volontairement son image anti-système, quoi de mieux que de dénoncer en termes triviaux une journaliste d’un média institutionnel déclenchant au passage les réactions indignées de « tout le système » ? Côté pile, Louis Aliot est présent dans tous les médias, côté face une petite insulte de manière à rassurer les plus radicaux qui souhaitent faire sauter le système.

Et alors le résultat ?

Tout reste ouvert. Une victoire dans un mouchoir devrait avoir lieu pour l’un des deux protagoniste , un 50.2 % face à 49.8 %. Sur le papier Pujol détient plus de réserves de voix que le FN. Il faut cependant tenir compte que le Rassemblement Bleu-Marine réalise ses meilleurs scores dans les bureaux où l’abstention est la plus faible et, inversement, de mauvais résultats là ou l’abstention est élevée. De fait, des réserves de voix existeraient pour le FN chez les abstentionnistes, comme le souligne d’ailleurs Nicolas Lebourg « Régulièrement, le FN gagne au second tour des électeurs qui se sont abstenus au premier. La qualification pour le second, le bon score, normalise le vote, le rend assumable. » Les derniers jours de la compétition, pour ne pas dire les dernières heures seront déterminantes. C’est d’ailleurs un point sur lequel s’accordent Aliot et Pujol, la victoire se fera sur un fil et les deux jugent nécessaires d’aller chercher les électeurs un par un.

 

 (A l’heure où nous publions cet article, Jean-Marc Pujol, contacté en même temps que les autres invervenants et relancé plusieurs fois, n’avait toujours pas répondu à nos questions)

 

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