“C’est comme un cauchemar qui ne finit jamais”

Yolanda Bassas Gimeno est avocate à Barcelone. Fin mars 2016, elle est partie à Athènes, au port du Pirée, en tant que bénévole dans un camp de réfugiés. Elle raconte son expérience à travers cette chronique.

Texte et photos : Yolanda Bassas

« Grâce à Dieu (s’il en existe un…) aujourd’hui la police grecque n’est pas venue au camp. Hier, ils ont essayé de nous faire peur avec des menaces. Seulement, la même police portuaire de tous les jours s’est présentée. Aujourd’hui, c’était le tour des Syriens. La police voulait 300 Syriens pour les amener à un nouveau camp (Larisa) situé à environ 350 Km au nord du Pirée. Comme d’habitude, la police ne donne aucune explication sur les conditions du camp et continue à mentir. Très peu des Syriens sont partis.

La police nous utilise pour tenter de passer des informations erronées ou essayer de les menacer. Nous (les volontaires) ne suivons pas leurs instructions car nous ne pouvons pas donner d’informations sur des camps que nous n’avons jamais vu, et desquels nous ignorons complètement les conditions. Certains réfugiés sont partis dans des bus et sont revenus quelques jours plus tard au port du Pirée à cause des conditions de certains camps. Par exemple, dans celui d’Alexandria, il y a des serpents et des scorpions, ils distribuent un repas par jour et les militaires ferment le camp pendant la nuit.

Aujourd’hui, j’avais besoin de m’évader de ce désastre humain. J’ai pris les enfants et j’ai les ai fait dessiner et jouer. Les mères ont besoin de se reposer, besoin que quelqu’un prenne soin, pendant un moment, de leurs enfants. Ils ont complètement confiance en moi et en mon amie volontaire Marcela, une fille chilienne-argentine qui a un cœur extraordinaire. Nous avons dessiné, joué, fait des blagues. Ils m’ont tous offert leurs dessins et l’un m’a même donné l’un de ses doudous.

« Durant un instant, les enfants ont été simplement des enfants »

Ils ont été dans le monde qui leur correspond. Nous nous sommes sentis dans un monde « normal ». Il sera très difficile de laisser derrière moi ces enfants, mes enfants : ceux auxquels je donne tous les jours le petit-déjeuner, ceux qui me prennent en cachette les gâteaux, les jus de fruits, l’eau (et je fais semblant de ne rien voir). Ces enfants qui ont vécu des choses si terribles, qui ont vu mourir certains de leurs parents. Certains parents n’ont pas survécu à la guerre en Syrie ou ont été tués par les Talibans en Afghanistan, d’autres n’ont pas supporté le trajet vers une terre inconnue, qui malheureusement ne leur ouvre pas les portes. Je peux vous raconter de très nombreuses histoires mais malheureusement, pour l’instant, aucune n’a une fin heureuse.

Tout est surréaliste : des femmes qui sont enceintes de plus de huit mois, d’autres qui accouchent, d’autres qui ont perdu le bébé qu’elles portaient. Chaque jour, nous appelons l’ambulance. Dans le camp, il y a seulement deux médecins volontaires, deux Allemands qui ont planté leur caravane et qui font de leur mieux. Certains ont le dénommé «War Syndrome» et tombent d’un seul coup en croyant qu’ils sont en train de vivre un bombardement…

camp-réfugiés

« Personne n’a pleuré, une grande dignité nous a envahis »

Un grand nombre de jeunes continuent à m’expliquer leurs histoires. Mais ceux qui ont fui à cause des Talibans ne veulent pas témoigner, car ils ont peur. Leur famille peut être tuée. Certains sont seuls et ont vu mourir tous les membres de leur famille. Aujourd’hui, quand j’ai demandé à Abdhullah – un jeune de 18 ans avec un anglais parfait – où se trouvait sa famille, il a regardé vers le ciel et m’a répondu : « père, mère, frères, sœur… au paradis… ». Mon cœur s’est congelé et il m’a demandé de lui chanter une de mes chansons. Après il m’a dit que son cœur était rempli. Ça été un moment magique, partagé avec d’autres volontaires et réfugiés : personne n’a pleuré, une grande dignité nous a envahis, un regard nous a suffi pour comprendre ce qui était en train de se passer. Un sentiment de résignation qui te brise profondément le cœur et l’âme.

Moi, parfois je ne sens plus rien. Je ne comprends plus rien. C’est comme un cauchemar qui ne finit jamais. Je me sens si fatiguée mais en même temps si reconnaissante envers eux, pour la confiance et l’amour qu’ils me transmettent tous les jours.

L’Europe devrait apprendre d’eux. Leur patience, bonté et reconnaissance sont admirables. »

Yolanda retournera à Athènes, au port du Pirée, le 29 avril prochain afin de continuer à aider les réfugiés et mettre en place de nouveaux projets sur place.


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