L’époque où la Catalogne expulsait les Espagnols

Le Pavelló de les Missions est un monument peu connu des Catalans. Désormais détruit, il a servi de camp pour « immigrés » espagnols avant leur expulsion pour leur région d’origine.

Le parc Joan Maragall, à Montjuïc, est un des plus élégants de Barcelone. Il est réputé pour ses jardins au style français. Derrière le Petit Palais Albéniz, vous trouverez une partie en contrebas. C’est à cet endroit qu’a été construit, en 1929 le Pavelló de les Missions, à l’occasion de l’Exposition Internationale.

Pavello de les missions

Cet édifice a été le symbole, pendant les années 50, d’un épisode peu connu dont certaines personnes témoignent encore avec émotion : la répression de ce que les Catalans appellent « l’immigration interne ». Ces mouvements de population ont commencé dans les années 30 et se sont poursuivis jusqu’aux années 70. Des milliers d’Espagnols (provenant principalement du sud rural de l’Espagne) ont fui la faim et le manque de travail de leurs villages d’origine pour des villes industrielles, dont Barcelone. En 1970, 38 % des personnes vivant en Catalogne n’y étaient pas nées. Pour freiner ce mouvement de population, plusieurs mairies de la Province de Barcelone et le Gouvernement Civil ont décidé de réagir dans les années 50.


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Au début des années 2000, Imma Boj (directrice du Musée de l’histoire de l’immigration en Catalogne) et Jaume V. Aroca (journaliste à La Vanguardia) ont débuté des recherches afin de comprendre cet épisode oublié de l’histoire de Catalogne. Ils ont trouvé, dans le Bulletin Officiel de la Province publié 6 octobre 1952, une circulaire dans laquelle est expliqué comment seront rapatriés certains espagnols non natifs présents en Catalogne. Ladite circulaire est justifiée par la « nécessité de faire face au complexe problème du logement, un poids pour des zones industrielles de la province […], soumise à une constante immigration ».

15.0000 expulsés

La mesure concerne les personnes nées hors de Catalogne, sans logement ni contrat de travail. Ces résidents « sans papiers » sont donc arrêtés et emprisonnés dans la Prison des Missions avant leur expulsion. Les conditions y sont en général déplorables, les migrants dormant à même le sol, parfois sans couverture. La police se tenait également à la Gare de France et au port pour arrêter les migrants dès leur arrivée. Afin d’échapper aux arrestations, certains « immigrés » n’hésitaient pas à sauter du train avant l’arrivée à Barcelone. D’autres trouvaient des subterfuges pour échapper à l’arrestation, comme explique ce témoignage anonyme recueilli en 2007 à Pinedes de Gavà : « Je savais qu’ils étaient dans la gare à attendre. Quand ma femme est venue à Barcelone, je lui ai envoyé une robe chère que je lui avais achetée, et des livres. Je lui ai dit, quand tu arrives à la gare, tu cherches un garçon qui te porte la valise et tu t’en vas de la gare en marchant comme une grande dame. Et ça a fonctionné. Ils ne lui ont rien dit. »

migration espagnole valises

Toutes les mairies de plus de 15.000 habitants ont dû appliquer ce bulletin officiel. Au total, sept expéditions d’expulsions ont été effectuées, ce qui représente plus de 15.000 expulsés, selon les estimations d’Imma Boj et de Jaume V. Aroca. La dernière a eu lieu en 1957. Par la suite, l’accent sera mis sur la construction de nouveaux logements, notamment avec le premier Plan d’Urgence Social de novembre 1957.

Aucune plaque commémorative n’a encore été posée dans le parc en mémoire de ces expulsés à l’intérieur de leur propre pays. Peut-être parce qu’elle contredirait un certain discours politique et historique qui affirme que ces migrations ont été organisées par le régime franquiste pour contrer les revendications identitaires catalanes. Les travaux d’Imma Boj et de Jaume V. Aroca nient clairement l’existence d’une « invasion pacifique » organisée depuis Madrid, dont les migrants espagnols seraient les principaux soldats. Une fausse vérité qui semble avoir la vie dure et qui pourrait ressurgir dans le contexte catalan actuel.

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