[ENQUETE] Ce qui empêche Puigdemont de déclarer l’indépendance





Le parti indépendantiste de centre-droit, le PdeCat, la Gauche Républicaine d’ERC,  la presse barcelonaise tentent d’influencer le président catalan dans un sens comme dans l’autre. Après une longue enquête dans les cercles du pouvoir catalan, Equinox dresse un inventaire de qui joue quel rôle.

Carles Puigdemont veut proclamer l’indépendance. Comme plusieurs fois évoqué dans les colonnes d’Equinox, le président catalan est un indépendantiste convaincu depuis son adolescence. On s’attendait à une proclamation le soir du référendum. Rien. Finalement, après neuf jours d’attente, le 10 octobre, le chef de la Catalogne convoque une session plénière du parlement catalan pour faire une non-proclamation d’indépendance.

Nouveau rendez-vous les 16 octobre et 19 octobre, dans des missives envoyées au président espagnol Rajoy qui voulait savoir si la Catalogne était déclarée indépendante ou non, Puigdemont botta en touche sans répondre clairement. Finalement, Mariano Rajoy annonça samedi l’application très sévère de l’article 155 de la constitution. Puigdemont insistait lourdement que l’activation de l’article 155 serait la goutte d’eau qui déclencherait la proclamation de la séparation d’avec l’Espagne. Le soir-même de l’annonce de Rajoy, Puidemont donnait rendez-vous au peuple de Catalogne pour prononcer à la télévision une allocution officielle. L’ensemble des observateurs pensait que le « molt honorable president » allait donner un grand saut vers la déclaration indépendance. Nouvelle douche froide avec un discours décaféiné de Puigdemont, se contentant de convoquer le parlement pour apporter une réponse au 155 qui aura finalement lieu jeudi matin. Force est de constater que des influences plus ou moins dans l’ombre s’activent pour faire dérailler le « processus ».

Prologue

Quels sont ceux et celles qui poussent Puigdemont à déclarer l’indépendance, et qui, dans l’ombre, sont les responsables politiques qui tentent de l’en dissuader?

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Il est évident que les partis politiques anti-indépendance (Partido Popular, Ciutadans et socialistes) ainsi que la presse madrilène sont opposés au séparatisme catalan. Nous nous sommes donc intéressés au cercle élargi de l’indépendantisme, du nationalisme et du souverainisme catalan.

Artur Mas et ses amis

Au fil de nos conversations, deux noms sont revenus avec insistance : Artur Mas et David Madi. L’ex-président de la Generalitat et son bras droit. « On pourrait même dire que c’est Artur Mas qui est le bras droit de David Madi » se désole un membre de Junts Pel Si, la coalition indépendantiste regroupant les partis PdeCat et ERC.

David Madi, que certains considèrent comme le gourou d’Artur Mas, est un pur produit de la bourgeoisie catalane. Homme d’affaires frayant avec la politique, détenteur d’une fortune, il règne sur une bonne part de la Catalogne financière. Ce fut également la tête pensante de Convergencia, l’ancien nom du PdeCat. C’est lui qui est l’inventeur de l’expression « dret a decidir » – le droit de décider-  répété à l’infini par les défenseurs du référendum d’indépendance. Oui, David Madi et Artur Mas sont indépendantistse. Surtout Madi. « Madi c’est le vin, Mas c’est la bouteille » se moquent certains.

David Madi est à l’origine de la campagne électorale de septembre 2015 réunissant PdeCat et ERC au sein de la coalition indépendantiste Junts Pel Si. Pour arriver à l’indépendance de la Catalogne, Madi pensait que Junts Pel Si obtiendrait la majorité absolue au parlement de Catalogne. Les stratèges proches du président Mas pensaient également que le président Mariano Rajoy allait perdre les élections législatives en Espagne et serait remplacé par une coalition Socialistes/Podemos. Majorité absolue indépendantiste en Catalogne face à une fragile union des gauches espagnoles : l’autorisation légale d’un référendum indépendantiste était en vue.

Rien ne se passa comme prévu, Junts Pel Si n’obtint pas la majorité absolue et dut pactiser avec l’extrême-gauche indépendantiste pour former un gouvernement sacrifiant Artur Mas. Pendant ce temps à Madrid, Mariano Rajoy se faisait réinvestir pour un nouveau mandat à la surprise générale. Pour garder le pouvoir, Artur Mas crut placer à la tête de la Generalitat un homme de paille : l’inconnu maire de Gérone Carles Puigdemont. Ce dernier s’émancipa rapidement avec ses nouveaux amis de ERC et de la Cup, largement plus radicaux que le Pdecat.

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Artur Mas et David Madi n’ont jamais été à l’aise avec ce plan unilatéral. Artur Mas, à la tête du parti, a réussi le 10 octobre dernier à empêcher au dernier moment que le président proclame l’indépendance. Carles Puigdemont n’a pas de réseau au sein de son propre parti, il ne pèse pas. En coulisses, l’immense majorité du PdeCat ne veut pas de la proclamation unilatérale d’indépendance (DUI).

La coordinatrice du parti, Marta Pascal, a tout fait pour saboter la DUI. Les ministre des entreprises Santi Vila et du logement Meritxell Borras ont menacé de démissionner si le président s’aventurait à proclamer l’indépendance. Il y a un secteur du Pdecat favorable à la DUI. Incarné par le ministre de l’intérieur Joaquim Forn, le porte-parole du gouvernement Jordi Turull et le chef des députés Lluis Corominas, ce courant pousse le président à proclamer l’indépendance. Mais « ils ne représentent rien au sein du Pdecat, ils n’ont aucun poids dans le parti » affirme à Equinox un attaché parlementaire. « Si ils font trop de vagues, ils seront expulsés du parti et leur vie politique est finie,  ajoute une journaliste politique catalane, et le Pdecat préfère que Puigdemont convoque des élections régionales plutôt que l’indépendance ». 

Une certitude partagée par plusieurs sources proches des parlementaires catalans et interrogées par Equinox. « Le PdeCat sait qu’il va perdre les élections, mais il préfère se retrouver dans l’opposition, le temps de se refaire une santé, que de se soutenir une indépendance unilatérale » nous confie également un journaliste barcelonais habitué des plateaux télés.

DUI PDECAT

Pour proclamer l’indépendance, le président Puigdemont ne peut donc pas compter sur sa droite.

L’équilibriste Junqueras

ERC est le parti historique de l’indépendantisme catalan. En toute logique, c’est une valeur sûre pour s’assurer du soutien de ce mouvement pour une déclaration d’indépendance. Pour les bases et l’ensemble des députés, c’est le cas. Pour son leader et vice-président du gouvernement Oriol Junqueras, les choses sont plus ambiguës.

A chaque conseil des ministres, tous les mardis, le président Puigdemont prend le pouls de son gouvernement, et Junqueras est connu pour ne pas rentrer dans les débats. En cas d’élections autonomiques, ERC est assurée d’une large victoire. Personne ne doute de l’indépendantisme de conviction chez Oriol Junqueras. Le présentateur vedette de TV3 Toni Soler glisse à Equinox : « je connais Oriol depuis des années, il veut que la Catalogne soit indépendante ». Le hic, c’est qu’Oriol Junqueras veut aussi devenir président de la Catalogne, qu’elle soit indépendante ou non.

Un ancien élève du temps où Junqueras était professeur d’histoire à l’université croit savoir que « Junqueras a cuisiné à petit feu sa prise de pouvoir à la tête du parti. Il a attendu immobile que Puigcercós (le chef du parti de l’époque) explose en vol lors d’élections ratées avant de prendre sa place ».

« Il n’y a pas plus calculateur et ambitieux que cet homme » nous confie notre journaliste télé pourtant aux penchants très indépendantistes. Oriol Junqueras est une espèce d’Alain Juppé catalan de gauche. Il est en tête dans les sondages et veut plaire à tout le monde, des centristes jusqu’à l’extrême-gauche.

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Dans ce climat de paranoïa, où les membres du gouvernement se suspectent les uns les autres de se placer sur écoute téléphonique, trois ministres proches d’ERC éveillent les doutes. Le ministre des Affaires étrangères, l’ancien vert Raul Romeva, l’ex-socialiste et ami proche de Junqueras, titulaire du ministère de la Santé Toni Comin et le ministre de la Justice Carles Mundo ne montreraient pas une détermination sans faille pour suivre le chef du gouvernement catalan.

Oriol Junqueras ne fera rien pour aider Puigdemont à faire la DUI. Mais il ne fera rien contre non plus. Il ne veut pas se griller devant son parti. La numéro deux d’ERC, la stakhanoviste Marta Rovira, est entrée en furie le 10 octobre dernier quand elle a compris quelques minutes avant le discours que le président ne prononcerait pas la DUI. Elle a menacé de démissionner de son mandat de députée sur le champ. Junqueras l’en a dissuadée.  En fait il espère que le chaos vienne du Pdecat, à tel point que la DUI soit impossible jeudi prochain lors de la séance parlementaire.

ERC DUI 1Seul les 10 députés de la Cup sont cohérents avec ce qu’ils annoncent : ils veulent unanimement la déclaration d’indépendance.

Une déclaration d’indépendance reste possible

Jeudi matin à partir de 10h se réunira le parlement de Catalogne en séance plénière. Il n’est d’ailleurs pas à exclure que celle-ci s’étale sur jeudi et vendredi.

Le président a trois scénarios devant lui : se plier aux injonctions d’Artur Mas et convoquer directement des élections régionales. Selon une source parlementaire, l’argumentaire serait que la répression policière a empêché que le référendum se déroule dans des conditions normales et que par conséquent le résultat n’est finalement pas assez valide. Seul un scrutin convoqué normalement sous la législation électorale en vigueur -donc espagnole- permettrait de connaitre le nombre exact d’indépendantistes en Catalogne. Mariano Rajoy pourrait considérer que le processus séparatiste continue sous la forme d’une élection régionale convoquée par Puigdemont et où l’on ne parlerait que d’indépendance. L’exécutif espagnol pourrait donc refuser ces élections et continuer la mise en place du 155 pour convoquer des élections dans quelques mois.L’option d’empêcher les partis de proposer des programmes indépendantistes reste sur la table de Mariano Rajoy. Les indépendantistes auraient dans ce cas-là tout perdu : les compétences de la Generalitat et toute crédibilité en dévalorisant leur propre référendum.

La seconde solution serait de proclamer symboliquement l’indépendance et simultanément des élections régionales. Les conséquences sont globalement les mêmes que dans la première option. Enfin, dernier choix : proclamer officiellement l’indépendance comme cela était prévu lors de l’organisation et entrer en terre inconnue.

La presse papier ne suit pas Puigdemont

La mutation de l’indépendantisme tranquille d’Artur Mas de 2014 au jusqu’au-boutisme de Puigdemont de 2017 a aussi transformé les clivages dans la presse catalane. Le cas le plus frappant est probablement celui de la Vanguardia. Journal historique catalan, âgé de près de 150 ans, la Vanguardia était extrêmement proche de Convergencia. Un équilibre entre nationalisme modéré et indépendantisme soft.

Avec le curseur qui s’est déplacé vers l’unilatéralisme de l’indépendance, la Vanguardia n’a pas pu suivre. Le propriétaire du journal, Javier Godo, est même menacé de destitution de son titre de comte par la noblesse espagnole au motif de trahison envers la nation. Le directeur adjoint de la Vanguardia, le très catalaniste Enric Juliana publie depuis des semaines des éditos demandant directement au « Molt honorable president » de renoncer au référendum et à la déclaration unilatérale. Une autre directrice du journal, Lola Garcia, publie des éditos très détaillés sur les coulisses du conseil des ministres catalans où apparaissent souvent des divisions.

Dans un article baptisé « au bord de l’implosion » en juillet dernier, Lola Garcia mettait en lumière les divisions du camp indépendantiste. En réponse, sans citer ni la journaliste ni le journal, le président lui-même a envoyé un tweet assassin contre l’édito de Garcia. Il accusait la journaliste de faire de la politique fiction. Cependant, les faits quelques semaines plus tard ont donné raison à l’éditorialiste. Du jamais vu dans l’univers « des convergents ».

Un autre grand revirement fut celui de Ara. Au départ indépendantiste, le journal papier se veut aujourd’hui une sorte de Libération à la Catalane, rassemblant toutes les sensibilités de gauche. Le quotidien s’est lui aussi prononcé contre l’indépendantisme unilatéral.




El Periódico, journal à tendance socialiste, lui n’a pas trop bougé sa ligne qui n’a jamais vraiment été indépendantiste. En septembre, le directeur du journal Enric Hernandez s’est retrouvé sous un violent matraquage du camp indépendantiste pour avoir sorti un soi-disant document de la CIA accablant le rôle des Mossos lors des attentats de la Rambla. Le journal le plus indépendantiste reste Punt Avui qui suit sans détour Puigdemont. D’ailleurs, il y a une vingtaine d’années, Puigdemont lui-même était rédacteur en chef de ce journal.

L’une des journalistes de grands médias catalans qui est allée le plus loin dans la défense de l’indépendantisme est certainement Mònica Terribas. Tour à tour directrice de la télé publique TV3, journaliste et officiant désormais le matin sur Catalunya Radio, Terribas a demandé à ses auditeurs de signaler la présence des forces de police espagnoles sur tout le territoire catalan afin de les repérer et les empêcher d’agir contre le référendum. A la grande fureur des syndicats de police espagnols.

PRESSE DUI

 

La presse en ligne derrière Puigdemont

Les pures players catalans sont tous indépendantistes. Le plus lu, et le plus généraliste, est NacióDigital. Vilaweb est le plus ancien et le plus militant. Chaque jour dans son édito, Vicent Partal donne ses conseils aux indépendantistes pour savoir comment agir et réagir face aux faits du jour. El Nacional est le plus à gauche et El Món publie de très courts articles faciles à lire. Tous soutiennent sans ambage la déclaration unilatérale d’indépendance.

Enquête de Nico Salvado, avec Aurélie Chamerois




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medecin français à Barcelone