La grande vengeance de Carles Puigdemont

Carles Puigdemont semble être décidé à bloquer la Catalogne jusqu’aux conséquences les plus extrêmes. 

De nombreux journalistes, responsables politiques, acteurs ou spectateurs de la déclaration d’indépendance du 27 octobre retracent dans de nombreux livres les dernières heures avant la fatidique proclamation. La tête froide, avec le recul nécessaire, il est désormais possible de reconstituer avec précision les faits historiques vécus en Catalogne entre les mois de septembre et octobre 2017.

Il apparaît qu’il y avait deux grands secteurs dans les coulisses de l’indépendantisme. La majorité des ministres de Catalogne étaient conscients qu’il serait impossible d’implanter concrètement la République catalane après une déclaration d’indépendance. Une grande partie du gouvernement voulait avec le scrutin du 1er octobre donner un grand coup de poing sur la table afin que Mariano Rajoy cède politiquement et autorise un véritable référendum. En revanche, le groupe parlementaire indépendantiste, en particulier les maires des communes rurales, penchaient pour la déclaration unilatérale et effective, suivie d’un conflit de résistance pacifique à grande échelle avec l’État espagnol.

Carles Puigdemont, indépendantiste convaincu, mais sous le poids de sa charge institutionnelle de président de la Catalogne a hésité jusqu’au bout entre convoquer des élections pour mettre fin à cette législature ou proclamer l’indépendance. D’un côté, les promesses indépendantistes faites au peuple catalan, le rendez-vous avec l’histoire, de l’autre la spirale de violence répressive de l’Etat doublé de l’inévitable fiasco d’une proclamation stérile.

Paradoxe

Dans son livre « De heros y traidores » (Peninsula Atalaya), l’ancien ministre Santi Vila relate un intéressant épisode où Carles Puigdemont  s’exclame, avant la déclaration d’indépendance,  « qu’il ne veut pas fuir en exil pour distribuer des cartes de visite d’une république imaginaire, tandis que les institutions de la Catalogne seront dévastées ». Prophétie auto-réalisée.


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Dans un autre ouvrage, ‘Los entresijos del procés‘ (Catarata), le journaliste Oriol Mach rapporte des paroles de Carles Puigdemont lors d’un vif échange avec la présidente du parlement Carme Forcadell : « pour que vous me compreniez:  nous n’avons rien, nous n’avons pas de structures étatiques, nous n’avons pas les Mossos, nous n’avons aucune source économique, nous n’avons pas de médiateur international ». Le lendemain, le parlement de Catalogne, sous l’impulsion du président Puigdemont, proclamait l’indépendance.

« Vous saviez qui j’étais, comment je pensais, pourquoi êtes-vous venu me chercher à Gérone? » s‘agaça alors Carles Puigdemont à des ministres qui lui reprochaient -au contraire –  son jusqu’au-boutisme. L’ancien maire de Gérone faisait référence, au moment où, inconnu du grand public, son parti lui proposa de remplacer Artur Mas à la tête de la Generalitat.

Tournant

Dans la nuit du mercredi 25 au jeudi 26 octobre, grâce à la médiation du président basque Iñigo Urkullu, des responsables socialistes et de Podemos, Carles Puigdemont, dans la douleur et les cris, a pris sa décision : il n’y aura pas de déclaration d’indépendance mais les Catalans seront appelés aux urnes dans la légalité constitutionnelle espagnole. Pour ne pas signer un décret de convocation d’élections en pleine nuit, qui pourrait donner une impression de branquignol, Puigdemont remet la déclaration officielle au lendemain première heure.

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A 9h, le jeudi 26 octobre, la presse est convoquée au Palau de la Generalitat pour annoncer que le parlement était dissous et des élections organisées. A Madrid, silence radio. Mariano Rajoy refuse de confirmer que l’article 155, qui devait être voté au Sénat le lendemain, ne sera pas appliqué si Puigdemont abandonne le processus indépendantiste.

La place Sant Jaume, siège du gouvernement  se remplit de manifestants indépendantistes hostiles à Puigdemont. Les réseaux sociaux débordent de haine à l’encontre du président catalan qui est accusé de traître. Le chef de la gauche indépendantiste et vice-président du gouvernement Oriol Junqueras menace de démissionner avec tous les ministres d’ERC. Chaos. La pression est trop forte pour Carles Puigdemont qui change d’avis et ordonne au parlement catalan de déclarer solennellement la sécession.

Trahison

Cette « trahison » d’ERC enrage Carles Puigdemont. A tort ou à raison, le président déchu semble estimer, en partie, que si il est en exil à Bruxelles, c’est à cause d’Oriol Junqueras et ses amis de gauche qui ont excité la foule quand il a voulu convoquer des élections pour sortir de l’emballement indépendantiste. Aucun analyste de la vie politique catalane, en public comme en privé, ne peut expliquer pourquoi Oriol Junqueras a agi de la sorte. Le leader d’ERC n’était pas un des plus grands partisans de la déclaration unilatérale. Comme Puigdemont, tous les témoins qui ont vécu les événements de l’intérieur racontent que Junqueras claudiquait entre les élections et la proclamation d’indépendance.

Une fois que Puigdemont « avait fait le sale boulot » de convoquer des élections, la sur-réaction de Junqueras reste inexplicable. On ne peut même pas évoquer un coup électoral, dans la mesure où ERC était donné victorieux des élections à venir. Ce point reste un mystère. L’homme de Gérone, lui ne pardonne pas. Il est furieux contre ERC, qui aujourd’hui lui demande de la modération pour pouvoir former un gouvernement catalan et mettre fin à l’article 155. Du haut de son groupe majoritaire de 34 députés, Carles Puigdemont semble vouloir bloquer les institutions catalanes jusqu’à l’agonie.

L’ancien président a eu l’intelligence politique d’empêcher les poids lourds de son parti de se présenter aux élections et s’est formé un groupe de députés novices qui lui doivent tout et suivent ses directives au pied de la lettre. Ainsi, pendant des semaines, Puigdemont a cherché à se faire investir président depuis Bruxelles et maintenant il insiste pour que le candidat reste Jordi Sanchez, le chef de l’association ANC, empêché du fait de sa détention à Madrid.

Puigdemont refuse obstinément de proposer un autre parlementaire de son groupe qui pourrait devenir président. Ceux que Puigdemont considère comme des félons, ERC, supplient l’ancien président de faire un geste de déblocage. L’absence de gouvernement va se traduire par des conséquences parfois catastrophiques. Sans ministre en place, la chaîne publique TV3 pourrait cesser une partie de ses émissions phares en juin. Certains animateurs vedettes pourraient être remerciés. Le média de service public a besoin d’une rallonge budgétaire pour payer un arriéré d’impôts, que réclame -dans une basse manœuvre- l’Etat espagnol. Sans gouvernement, TV3 n’aura pas son bonus budgétaire vital.

Idem pour la cagnotte de 30 millions d’euros destinés aux médias privés sous forme de publicités de la Generalitat. Les contrats publicitaires sont prêts pour l’année 2018, mais ne peuvent pas être signés sans ministre. Un blocage qui met à mal financièrement certains médias, surtout ceux qui ont la ligne éditoriale la plus indépendantiste. La sphère médiatique catalane, qui a tant poussé à la sécession, n’émeut pas elle non plus Carles Puigdemont.

sala tapies

La salle Tapies du Palau de la Generalitat fermée depuis le 27 octobre 2017. Lieu du conseil des ministres catalans.

Le blocage dure depuis 3 mois et un haut responsable indépendantiste confie à Equinox que « la situation ne devrait pas trouver de solution avant des semaines ou des mois ». L’attitude de Carles Puigdemont ressemble à une grande vengeance contre tous ceux qui l’ont poussé à proclamer la séparation de la Catalogne avec l’Espagne. Il n’est pas à exclure que ce qu’il reste des institutions catalanes s’écroule complètement sous le poids de l’article 155.  En sacrifiant les institutions catalanes, Puigdemont semble appliquer la stratégie politique du Cuanto peor, mejor.  

« Vous saviez qui j’étais, comment je pensais, pourquoi êtes-vous venu me chercher à Gérone? » 

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