[REPORTAGE] Le centre-ville de Barcelone en lutte contre le narcotourisme

A l’approche de la saison estivale, les habitants de Ciutat Vella tirent la sonnette d’alarme. Avec le phénomène des narco-appartements, Barcelone attire de plus en plus de touristes héroïnomanes.

“On ne peut plus vivre comme ça, nos enfants manquent sans cesse de marcher sur des seringues usagées, nos personnes âgées ne sont plus tranquilles quand elles rentrent chez elles, et ça ne fait qu’empirer”. Carlos a quitté le Salvador il y a trois ans avec sa famille pour fuir la criminalité provoquée par le trafic de drogue. Alors quand le phénomène des “narco-appartements” est apparu fin 2016 dans le Raval, ce docteur en histoire qui avait choisi Barcelone pour sa douceur de vivre a naturellement pris la tête de l’association de quartier Illa RPR (centre Raval : rues Robadors-Picalquers-Roig).

carlosLes narco-pisos sont ces logements vides squattés par les trafiquants de drogue qui y installent leurs « bureaux » pour vendre mais aussi parfois consommer sur place avec des salles de shoot toutes aussi illégales. Particulièrement touché par la crise des années 2009-2012, le Raval abrite plus de 200 appartements vides qui avaient alors été saisis aux propriétaires ne pouvant pas rembourser leur prêt hypothécaire. Les banques ne pouvant plus écouler tout leur stock immobilier, ces logements situés dans des zones moins prisées sont laissés à l’abandon. « Le trafic de drogue prospère là où il y a un vide, assure Carlos, et les trafiquants ont tout de suite vu l’opportunité ».

Des touristes étrangers et des applis mobiles

Résultat : le quartier est devenu un repaire de trafiquants et de toxicomanes, laissant derrière eux seringues, vêtements et même excréments. Quand on n’assiste pas à un shoot en plein rue ou à une bagarre à la machette. « Le Raval était un quartier métissé auparavant, et il devient de plus en plus malfamé, regrette Jacinto qui a repris le café-restaurant familial il y a trente ans, avant j’avais des artistes, des écrivains qui venaient manger ici, maintenant c’est fini, les gens déménagent dans d’autres quartiers, et je les comprends ».

Cette dégradation rapide inquiète particulièrement les habitants à l’approche de la saison estivale. “Nous voyons de plus en plus de toxicomanes étrangers qui viennent pour consommer, surtout de l’héroïne, qui est très bon marché ici, assure Carlos, nous avons peur que notre quartier devienne une destination phare du narco-tourisme européen”.  Comment les touristes trouvent-ils les adresses? Selon l’association de quartier Illa RPR, elles sont disponibles sur le « dark web », ces sites Internet non indexés par les moteurs de recherche et utilisés pour des activités souvent illégales. Les Mossos d’Esquadra ont même confirmé l’existence d’applications mobiles qui permettent aux acheteurs de trouver les « narco-pisos ». Ces touristes d’un nouveau genre viennent principalement d’Europe de l’Est, d’Italie et du Royaume-Uni.

mossos intervention

Barcelone, déjà connue pour son tourisme cannabique, va-t-elle devenir la capitale européenne de l’héroïno-tourisme? Le phénomène est difficile à endiguer. La police intervient régulièrement, mais les trafiquants changent d’appartement dès qu’ils remarquent avoir été repérés par leurs voisins.  Au cours des douze derniers mois, 48 personnes ont été arrêtées et 36 narco-appartements fermés. Il en resterait encore une quarantaine selon les associations de quartier, et le phénomène commence à s’étendre au Gòtic et à l’Eixample. 

L’association Illa RPR a transmis jeudi dernier à la mairie de Barcelone un document de 20 mesures pour lutter contre le trafic d’héroïne. Elle réclame notamment un renforcement des patrouilles policières, un bureau municipal dédié au trafic de drogue, un autre qui gérerait les logements vides, et des unités de Guardia Urbana et des Mossos qui surveilleraient le centre-ville et la plage la nuit. “Ce sera un problème très difficile à résoudre, admet Jacinto, cela peut prendre des années, mais nous ne lâcherons pas, le Raval a réussi à se débarrasser de la drogue dans les années 80, nous pouvons encore y arriver”.

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