B. Ferrer : « Une déclaration d’indépendance en janvier n’est pas impossible »

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Près de deux mois après la formation d’un gouvernement catalan assurant qu’il mènera la région à son indépendance, Equinox a rencontré Bernat Ferrer, journaliste influent de la sphère indépendantiste, actuellement à El Món et auteur d’un livre d’entretien avec le leader de la gauche pro-indépendance Oriol Junqueras. L’occasion de faire le point sur le projet catalan, alors que Madrid peine à former un gouvernement. 

Propos recueillis par N. Salvado et A. Chamerois

Equinox Radio : On peut croire en l’indépendance de la Catalogne mais une « déconnexion » en 18 mois (NDLR : objectif du gouvernement actuel), est-ce vraiment crédible?

Bernat Ferrer : On a essayé de trouver une collaboration, avec d’un côté de la table l’autonomie catalane et de l’autre l’État espagnol. Les Catalans ont voté par référendum en faveur d’un statut d’autonomie pour la Catalogne en 2006. Ensuite, la droite du Partido Popular a fait un recours pour invalider ce qu’avaient pacté l’État espagnol et l’autonomie catalane au sein de l’accord de l’Estatut. Quelle autre sortie peut-on trouver si la négociation politique entérinée n’est finalement pas acceptée par l’État espagnol ?

80% des Catalans pensent que la Catalogne est une nation. Ces gens pensent que nous devons chercher un autre chemin, un nouveau scénario puisqu’il est impossible à l’Etat espagnol de négocier avec nous. Il y a un problème politique et les partis espagnols refusent de trouver une solution. On ne peut pas toujours faire la même chose, sinon on aura toujours les mêmes résultats. Donc nous essayons de faire l’indépendance unilatéralement car nous n’avons pas d’autre solution. Est-ce que c’est positif ou négatif ? On le saura en le faisant.

Vous parlez d’agir unilatéralement. Mais avec seulement 48 % des votes favorables à l’indépendance lors des dernières élections catalanes du 27 septembre 2015, existe-t-il vraiment une telle légitimité ?

C’est quoi l’indépendance ? C’est de savoir qui est le dirigeant d’un territoire géographique donné. Aujourd’hui, en Catalogne le plus haut dirigeant est le roi d’Espagne Felipe VI. Si demain, les députés indépendantistes du Parlement catalan veulent changer le plus haut représentant du territoire catalan, ça sera un grand appel international. Nous sommes face à un immobilisme à Madrid, je suis très surpris d’ailleurs des socialistes catalans qui pensaient il y a 4 ans qu’il fallait un référendum et qui aujourd’hui sont contre. Seul l’indépendantisme unilatéral peut, peut-être, débloquer la situation. Si demain, le socialiste Pedro Sanchez devient finalement président du gouvernement et autorise un référendum en Catalogne, c’est parfait.

En cas d’action unilatérale, que se passera-t-il concrètement ? 

Nous avons une majorité légitime de députés démocratiquement élus qui peuvent avancer la feuille de route vers l’indépendance. Ils ne déclareront pas l’indépendance tant que nous n’avons pas de sécurité sociale catalane, d’agence de trésor public catalan et de lois de transition juridique vers un État. Les députés ont 18 mois pour élaborer ces lois. Une déclaration d’indépendance émise par le Parlement catalan en janvier n’est pas impossible. Ceci étant dit, ce n’est pas concret car tout est en suspend à cause de l’État espagnol. Selon sa réaction, les choses peuvent changer d’ici janvier.


Lire aussi : la feuille de route des indépendantistes


Les lois catalanes qui permettraient d’arriver à l’indépendance sont systématiquement annulées par le Tribunal constitutionnel espagnol. Qu’allez-vous faire face à cela ?

Ce n’est pas une discussion juridique, c’est une question politique. Si le Parlement de Catalogne vote les trois lois de déconnexion et que le Tribunal constitutionnel les bloque, il y aura une pression politique sur Madrid. Que fera Madrid ? C’est un doute majeur dans cette équation. Personne ne peut savoir ce que fera le pouvoir espagnol. C’est compliqué de faire quelque chose contre le Parlement catalan. On peut difficilement se représenter l’image de Carme Forcadell, la présidente du Parlement catalan, qui partirait en prison.

Le processus indépendantiste fragilise-t-il l’économie ?

Le moment viendra où le Ministre de l’Économie Oriol Junqueras dira : « Les entreprises doivent payer leur contribution à la Sécurité sociale, ainsi que leurs impôts directement à la Catalogne sans passer par l’Espagne. C’est tout simplement un changement de compte bancaire. C’est simple. »

Et dans ce cas, les entreprises recevront une amende du Trésor public espagnol pour ne pas avoir payé leurs impôts…

On ne sait pas combien d’entreprises paieront leurs impôts à l’Espagne et combien paieront à la Catalogne. Il y aura une négociation trilatérale entre Madrid, Barcelone et l’Europe, et peut-être que cette dernière reconnaîtra la Catalogne comme un État propre.

Pour revenir à la question sur la déstabilisation économique, si on prend l’exemple ce qu’il s’est passé en Italie, chaque année le gouvernement a changé, c’était une crise politique permanente et l’économie se portait bien. C’est la septième économie mondiale. Il y a une dissociation entre la politique et l’économie qui est mondiale.

Nous pouvons vivre le chaos politique et que l’économie se porte bien. La France peut-elle intervenir directement sur l’économie française ? La réponse est non. Si François Hollande veut créer un impôt pour les plus riches, ils vont tout simplement partir au Luxembourg, et François Hollande ne pourra rien faire.

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Comprenez-vous que ce type de conflit puisse en inquiéter certains, et notamment la communauté francophone de Barcelone qui n’est pas venue s’installer ici en pensant vivre tout cela ?

C’est un conflit uniquement théorique. Il n’y aura aucun problème direct avec les citoyens de la Catalogne. Ça sera un conflit uniquement politique, peut-être que Carme Forcadell et d’autres reponsables politiques auront des ennuis, mais pas le citoyen.

Les séparatistes semblent prétendre qu’en tentant l’indépendance, la Catalogne a rien à perdre. Mais une Catalogne indépendante perdrait par exemple la puissance internationale du 4e pays européen qu’est l’Espagne. 

Moi, je suis d’Igualada, une ville industrielle, un endroit où il y a beaucoup d’entrepreneurs. Quand ils veulent faire des affaires commerciales avec l’Allemagne, ils disent qu’ils ne vont pas voir l’Ambassade d’Espagne en Allemagne. Les entreprises catalanes sont des PME : ce ne sont pas des grandes entreprises ni des multinationales, elles n’ont donc pas besoin du même réseau diplomatique que les entreprises espagnoles. Ce que veulent les PME catalanes, c’est une diplomatie qui les aide à ouvrir des nouveaux marchés en Afrique, au Maroc, et dans d’autres pays. La diplomatie espagnole ne répond pas à ces besoins.

En Europe, personne ne pense qu’il y aura une guerre économique entre les États membres. Au contraire, on se dirige encore plus vers une union économique. Dans cette paix historique entre les pays européens, la Catalogne n’a pas besoin des instruments diplomatiques traditionnels, car il y a un calme général entre les nations européennes. C’est ce qu’affirme d’ailleurs le philosophe allemand Jürgen Habermas, et il a été repris par le think thank du parti Unió qui n’est pas spécialement indépendantiste.

En tant que journaliste, quel est votre regard sur le paysage médiatique catalan, souvent pointé du doigt pour son manque de neutralité dans le conflit indépendantiste?

Quand la crise politique catalane sera finie, il y aura un nouveau statut politique, de même qu’il y aura un nouveau statut médiatique. Aujourd’hui, le quotidien La Vanguardia est hégémonique. Demain, peut-être le sera-t-il toujours, peut-être que non, ou ça sera peut-être El Món ou un autre journal qui sera devenu hégémonique. Avant, il y avait une presse que l’on pouvait qualifier de généraliste, mais aujourd’hui, on revient à ce que l’on appelle la presse de niche, c’est-à-dire à des journaux qui ne s’adressent qu’à une partie choisie de la population, et qui est une presse ouvertement partisane. On peut citer par exemple El Critic qui ne vise qu’un public de gauche, les électeurs d’ICV, la CUP, ou Podemos.

En ce qui concerne le journal pour lequel j’écris, El Món, nous souhaitons informer sur l’actualité politique nationale catalane du point de vue indépendantiste. Mais à côté de ça, nous souhaitons créer une structure nationale catalane et développer les structures locales dans les comarcas (NDRL: équivalent des communautés de communes en France). Prenons l’exemple de Ouest-France, est-ce un journal de gauche ou de droite ? C’est avant tout un journal qui parle de ce qu’il se passe localement, avec le point de vue propre à cette identité locale. C’est ce que l’on cherche à construire avec El Món.

A El Món, vous assumez une approche 100% indépendantiste, El Món sert-il donc à informer ou à convaincre ses lecteurs ?

On reflète un point de vue très installé en Catalogne. Dès que l’on sort de Barcelone et de son aire métropolitaine. il y a un point de vue très différent de ce que l’on lit dans les grands médias catalans comme La Vanguardia ou El Periódico. Si l’on va a par exemple dans ma ville natale, à Igualada, le point de vue sur l’indépendance est très différent de celui de Barcelone. Souvent les journalistes de Barcelone ne comprennent pas ce qu’il se passe dans le pays catalan. Il y a un grand problème de communication.

Etes-vous déçu que le voisin français s’oppose fermement à l’indépendance de la Catalogne ?

Non, car quand nous serons au jour J de l’indépendance, les choses vont changer. Aujourd’hui, la France est un État consolidé, il est normal qu’elle soutienne l’Espagne qui est un autre État consolidé. Si demain la Catalogne devient un État, les relations avec la France vont changer.

Un citoyen catalan est-il fondamentalement différent d’un citoyen espagnol ?

Je ne le pense pas. Les problèmes sont similaires, la crise nous a tous touchés. Ceci dit, je pense que certaines conditions sont différentes. Dans l’Histoire, quand l’Espagne a perdu sa colonie de Cuba, il y a eu une grosse dépression culturelle en Espagne, une période très noire, très sombre. Alors qu’en Catalogne, nous avons vécu à la même période la Renaixença, un moment très joyeux de l’histoire culturelle avec des artistes comme Gaudi. Face au même problème, nous avons réagi différemment.

Je pense qu’aujourd’hui tout le monde est d’accord pour dire que la transition démocratique débutée en 1978 est terminée. Alors qu’en Espagne, on dit qu’il faut recentraliser les pouvoirs, les Catalans pensent qu’il faut au contraire devenir indépendant. Face au même problème, nous réagissons différemment. On peut l’expliquer par le fait que la Catalogne soit une nation.

 

 

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