A. Altafaj : « le Brexit devrait tous nous inquiéter, en tant que Catalans et Européens »

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La veille du référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne, nous avons rencontré Amadeu Altafaj, représentant permanent du gouvernement catalan à Bruxelles, pour parler Brexit, projet indépendantiste et politique espagnole.

De passage à Barcelone, Amadeu Altafaj nous reçoit dans l’élégante Casa dels Canonges, résidence officielle du Président de la Catalogne aujourd’hui utilisée pour le polémique ministère catalan des Affaires étrangères. L’ancien journaliste, qui a suivi sa scolarité au Lycée français de Barcelone et réside en Belgique depuis 20 ans, répond à nos questions dans un français parfait.

Les Européens sont-ils déçus de l’Union européenne?

Il y a un malaise européen, un malaise généralisé qui va au-delà des institutions de l’Union européenne. On sent aussi ce malaise en France, en Espagne, un peu partout au Royaume-Uni. Il faut que l’Union européenne trouve sa place dans la globalisation. On peut lui reprocher de n’avoir pas su faire face à de nombreux défis issus de la globalisation, dans plusieurs domaines, des échanges commerciaux aux défis d’ordre géopolitique, en passant par le sécuritaire, la crise au Moyen-Orient, la crise des réfugiés. Et bien sûr aussi les effets de la crise financière et économique. L’impact social de cette crise se fait sentir en particulier dans les sociétés de l’Europe périphérique. Tous ces éléments ensemble font qu’il y a aujourd’hui un questionnement du projet européen, un questionnement de plus en plus frontal, jusqu’à l’extrême limite à laquelle on assiste cette semaine avec le référendum au Royaume-Uni.

Podemos en Espagne, Syriza en Grèce, les partisans du Brexit, pourquoi les mouvements contestataires gagnent-ils aujourd’hui du terrain en Europe?

Vous oubliez le Front national en France. Le phénomène du Front national n’est pas du tout nouveau, il n’est pas lié à la crise économique ou à la situation sociale en France, c’est quelque chose qui vient de loin. C’est un reflet aussi de ce malaise et du succès que ceux qui exploitent les peurs, les angoisses des citoyens peuvent trouver dans des situations pareilles. Tous ces mouvements exploitent les peurs, les incertitudes, les angoisses des citoyens. Il y a une recherche de solutions miracles, ou du moins de solutions alternatives qui dominent le discours politique de ces forces.

Le mouvement indépendantiste catalan fait-il partie de ces mouvements contestataires?

C’est un mouvement contestataire, puisqu’il y a une contestation du statu quo de la Catalogne au sein de l’Espagne, mais c’est un mouvement très réactif en même temps. Avant 2010, la dimension de ce mouvement était relativement modeste. Il y a toujours eu un engagement constructif de la part des différents gouvernements catalans vis-à-vis de la vie politique en Espagne, ils ont contribué à la gouvernabilité de l’Espagne dans des périodes politiques différentes, que ce soit avec le PP ou le PSOE au pouvoir. Mais cette dynamique s’est vue brisée suite à l’arrêt la Cour constitutionnel sur le statut d’autonomie en 2010.

Et là, pour moi, il y a un vrai point d’inflexion. Beaucoup de Catalans réalisent à ce moment-là que ce qui a été négocié, accordé par les deux parlements, Madrid et Barcelone, voté via un référendum, légal, peut être bafoué du jour au lendemain par la décision d’une Cour dirigée par les partis politiques dominants en Espagne. Cela a eu un impact profond, qui sera négligé par le gouvernement qui s’en suivra à Madrid. Et c’est l’erreur tactique, politique, capitale, commise par le gouvernement de M. Rajoy : ne pas avoir géré politiquement un défi qui était avant tout politique. Année après année, nous avons constaté que la contestation sociale n’a fait qu’augmenter, et en parallèle le phénomène a été minimisé par Madrid. Une espèce d’autisme politique qui a agacé les Catalans qui ne se sont pas du tout sentis écoutés.

Si les Britanniques votent majoritairement pour le Brexit, quelle sera la lecture des indépendantistes? Une mauvaise nouvelle car les Etats rechercheront davantage une certaine stabilité, ou une bonne nouvelle puisque l’Europe pourrait être alors repensée?

On pourrait repenser l’Europe sans tout casser ! Idéalement, cela devrait être comme ça. Mais c’est vrai que l’Europe a aussi avancé à coups de crises. Ce n’est pas nouveau. Ce n’est pas le premier référendum qu’il y a au Royaume-Uni, en 1975 il y en avait déjà eu un. Il y a eu des moments difficiles, il y a eu des référendums sur le traité de Maastricht, en Irlande, en France aussi. Il y a déjà eu des épisodes de crise où l’on est passé très près de la catastrophe, mais on a toujours trouvé un arrangement.

Toutefois je pense que le défi d’aujourd’hui est d’une autre dimension. Il y a un défi frontal et il y aura des conséquences quel que soit le résultat. Bien sûr si le non à l’Europe l’emporte, il y aura des conséquences sur les marchés financiers, il y aura aussi une crise interne au Royaume-Uni, un éclatement du parti conservateur. C’est un processus qui aura beaucoup de retombées au Royaume-Uni, au sein des institutions européennes et dans les Etats-membres aussi, dans lesquels il peut y avoir un effet de contagion.

Cela vous inquiète-t-il?

Oui, ça m’inquiète en tant que citoyen européen et catalan. Je pense que les risques sont très importants en ce moment. Les Catalans sont des Européens engagés, en général, et ça devrait tous nous inquiéter. Sans faire de calculs égoïstes. On peut avoir un agenda et se féliciter que le Royaume-Uni ait des standards démocratiques très élevés, mais en même temps exprimer une préoccupation par rapport à une situation qui peut déstabiliser l’Europe de façon durable. Je pense toutefois que le résultat sera favorable au maintien dans l’Union européenne. Malheureusement aussi à cause de l’attentat sauvage qui a eu lieu la semaine dernière, l’assassinat de la députée Jo Cox, opposante au Brexit, qui a secoué pas mal de consciences au Royaume-Uni.

Amadeu altafaj barcelone sophiaDepuis bientôt 6 mois, la Catalogne est dirigée par un gouvernement indépendantiste qui s’est donné l’objectif de mener la région aux « portes de son indépendance » en 18 mois. La date annoncée sera-t-elle respectée?

Il y a deux réponses possibles à cette question. Techniquement, nous pouvons être prêts dans un an. En un an, c’est-à-dire pour l’été 2017, nous pouvons avoir préparé les structures d’un Etat et nous être adaptés aux critères de Copenhague pour que cet Etat devienne un Etat membre de l’Union européenne. Politiquement, c’est différent. Et, j’insiste, la question est avant tout politique. Il faut trouver un consensus large au niveau politique en Catalogne puis entamer un dialogue politique à la fois avec l’Etat espagnol et l’Union européenne, tel que le parlement de Catalogne l’a inscrit dans sa déclaration du 9 novembre.

Ce consensus n’existe donc pas en Catalogne?

Il faudra s’interroger sur le rôle de partis politiques qui entretiennent une ambiguïté créative sur le sujet, comme Catalunya Sí que es Pot (formation composée de Podemos et autres forces politiques de gauche pour les élections catalanes de septembre 2015) ou Podemos au niveau espagnol. L’agenda électoral les pousse à faire des acrobaties pour contenter des sensibilités différentes et ramasser le plus grand nombre de voix possibles.

Dans le cas de la CUP, parti anti-capitaliste allié du gouvernement indépendantiste mais qui a refusé de voter le budget, ce n’est pas un parti politique, c’est une plateforme de différents mouvements, groupes voire groupuscules, dont le programme est très radical et se décide de façon peu orthodoxe par rapport au fonctionnement normal des partis politiques. Il y a un élément de volatilité très important et un clair manque de maturité. Pour certains, cela a été une surprise car les leaders qui ont pris le devant un certain temps, comme David Fernàndez, Quim Arrufat ou Antonio Baños, ont donné l’impression d’être prêts à entrer dans le jeu politique et trouver des points d’entente. Mais ces derniers mois, ce sont des branches plus radicales qui ont mené la danse, avec qui il est particulièrement difficile de négocier.

Etes-vous optimiste quant aux chances de réussite du projet indépendantiste?

Je suis toujours optimiste. Mais il faut être conscient des risques. Et il ne faut pas chercher les risques à Madrid ou à Bruxelles, ils commencent ici à Barcelone en ce moment. Il faut aussi penser que le paysage politique espagnol est en train de subir une transformation inouïe et donc tout est en train de bouger, et pas seulement en Catalogne. En Europe aussi d’ailleurs. Un certain équilibre, qui peut être plus ou moins précaire, devrait alors permettre que des choses se passent. Est-ce que cela va se passer dans six mois, dans un an, dans deux ans, je ne sais pas, je ne jouerai pas à l’apprenti sorcier sur cette question. C’est jouable mais c’est très difficile.

Dimanche, les Espagnols retourneront aux urnes pour élire leurs parlementaires. Quel gouvernement serait le plus souhaitable pour le camp indépendantiste?

Je pense que le résultat ne sera pas fondamentalement différent de celui du 20 décembre dernier mais les équilibres partiels peuvent changer un peu. Il peut y avoir ce « sorpasso » de Podemos sur le parti socialiste espagnol. Mais le défi reste le même : le lendemain, les partis devront négocier pour former un gouvernement de coalition, quelque chose d’inédit dans l’histoire de la jeune démocratie espagnole. Je pense que c’est salutaire pour la politique espagnole qui ne peut en sortir que renforcée si les leaders politiques prennent leurs responsabilités.

Pour la Catalogne, le meilleur gouvernement espagnol sera en fait n’importe quel gouvernement prêt à ouvrir un dialogue avec respect, un dialogue qui ne sera pas basé sur une hiérarchie ou une obéissance due mais sur un respect institutionnel et politique.

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