[REPORTAGE] « Je suis français à Barcelone et je n’ai que des amis français »

De plus en plus de Français viennent s’installer à Barcelone, récemment désignée comme la 6e meilleure ville pour s’expatrier par le magazine Forbes. Certains d’entre eux maintiennent un lien fort avec la communauté française voire ne cherchent pas à s’insérer dans la vie locale. 

Les Français qui s’installent à Barcelone font face à plusieurs défis propres à l’expatriation comme la barrière de la langue, l’environnement inconnu ou la différence des normes sociales. Pour les affronter, certains se donnent les moyens d’apprendre la langue et de s’adapter, d’autres préfèrent évoluer dans un cercle francophone voire français.

L’expatriation certes, mais pas l’immersion totale puisque la plupart des Français de l’étranger parlent leur langue maternelle pratiquement tous les jours et gardent un lien fort avec leur pays d’origine. Selon un récent sondage Ipsos, 71 % d’entre eux parlent la langue de Molière tous les jours, 66 % suivent l’actualité politique française plusieurs fois par semaine et 63 % reconnaissent continuer à consommer au moins une fois par semaine des produits alimentaires typiquement français. Côté éducation, 98% d’entre eux trouvent qu’il est important de transmettre leur culture à leurs enfants.

Après deux ans à Barcelone, Marion, 24 ans, avoue qu’elle comprend la langue espagnole mais ne peut pas malheureusement répondre spontanément lorsqu’elle a une discussion avec un Barcelonais. Ce n’est pas une question de mauvaise volonté pour la jeune Lyonnaise mais c’est en grande partie lié à son travail. Comme beaucoup de Français installés à Barcelone, elle travaille dans un centre d’appels : « Je travaille 8 heures par jour dans une entreprise où je suis entourée de Français. On nous propose des cours d’espagnol mais pas assez personnalisés et approfondis à mon goût ». Dans son cercle d’amis, il n’y a que des Français ou francophones. D’ailleurs, elle vit en colocation avec des Français, mais ça s’est fait par hasard. « Depuis que je suis ici, je n’ai pas assez rencontré d’Espagnols ou d’hispanophones. Cela demande beaucoup de volonté de rencontrer des Catalans ». Parce que les Catalans seraient fermés?  La jeune femme répond honnêtement : « non, pas du tout, mais je vis dans le centre de Barcelone et dans mon quartier je rencontre en majorité des expatriés comme moi ou des touristes français venus en vacances ».

burns3 opt« J’aimerais parler catalan et m’investir dans mon quartier »

Ravaka, elle, a décidé de fuir les francophones. Malgache d’origine, elle a atterri à Barcelone en juin 2016 avec son mari. À 36 ans, elle travaille dans l’informatique pour une entreprise française. Lassée de Paris, elle est tombée amoureuse de la capitale catalane après des vacances. Seul bémol : la barrière de la langue. « Cela me vexe lorsqu’un serveur me parle en anglais alors que j’ai passé ma commande en castillan mais je tiens bon, les gens sont plutôt bienveillants. J’ai un côté schizophrène par rapport à la langue: j’évite de côtoyer des Français pour me forcer à parler espagnol, mais la plupart de mes bons plans sont grâce aux réseaux sociaux français ».

Ravaka ne se décourage pas, après avoir échoué avec la méthode Assimil (méthode d’auto-apprentissage sur internet), elle vient de s’inscrire dans une école de langues. Dès qu’elle aura atteint un bon niveau de langue, Ravaka tentera de travailler avec des Catalans : « Travailler avec la France cela n’aide pas à s’intégrer ». Ses projets ne s’arrêtent pas là, la jeune femme veut s’adapter le plus possible à la culture, « J’aimerais apprendre le catalan et m’investir dans un centre civique dans mon quartier ».


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Joani, 35 ans, vit à Barcelone depuis 4 mois. Après un décès familial, il décide de tout plaquer pour vivre l’expérience catalane. « J’ai tout de suite pensé à Barcelone car j’ai des amis ici et ils ont trouvé très vite un emploi ». On ne lui avait pas menti puisqu’il trouve un job à peine plus d’une semaine après son arrivée. Cela n’a pas malheureusement pas été aussi rapide pour les démarches administratives, Joani ne parlant pas encore un mot d’espagnol. « J’ai mis 4h30 pour avoir mon NIE (numéro d’identification d’étranger) alors que j’avais tous les papiers nécessaires. C’est certain que la langue m’a bloqué, j’aurai pu gagner du temps et éviter toutes ces péripéties ». De quiproquo en incompréhension, le Bourguignon d’origine s’est retrouvé en plein milieu de Badalona pour déposer plainte pour perte d’un document. Il avait décidé de prendre le scan d’un document officiel et non pas l’original, ce que l’administration a refusé.

Joani travaille dans un centre appel avec des Français comme lui et sort dans des lieux francophones. Pour lui, la difficulté supplémentaire est qu’il y ait deux langues parlées à Barcelone : le castillan et le catalan. Il se demande quel apprentissage privilégier et si on le comprendra partout dans l’une ou l’autre langue. Néanmoins, il ne manque pas de bonne volonté pour apprendre et compte prendre des cours particuliers « même si ça doit prendre un an pour avoir un bon niveau ».

L’intégration, un sujet tabou?

Sarah Zozor, psychologue à Barcelone, donne une raison à cette difficulté d’intégration pour les Français de l’étranger. D’après elle, l’humain a des difficultés à s’échapper de son environnement, il est plus confortable pour lui de vivre avec des choses qui résonnent en lui. En psychologie, on appelle cela « l’attraction de la similitude » c’est-à-dire ne pas prendre de risque en restant dans une zone de confort et s’entourer de personnes qui partagent la même langue, les mêmes croyances, les mêmes codes. « Cognitivement, ça demande beaucoup de concentration de parler une autre langue, de s’intégrer dans un nouveau système, explique-t-elle, lorsque l’on parle, on associe chaque mot à une émotion, par exemple pour le mot « examen » la plupart des personnes l’associe au stress, pour parler une langue différente de la notre, il faut donc avoir assez d’expérience pour le raccrocher à une émotion ».

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Au-delà des mots, ne pas s’intégrer est un sujet tabou. Sarah explique que les malentendus liés à la barrière de la langue mènent à la frustration pour l’individu qui peut se sentir rejeter d’un groupe : « l’humain cherche toujours l’approbation de l’autre, or s’il a des difficultés à communiquer, cela accentue sa peur du jugement et du regard de l’autre, et chacun de nous a envie de dire qu’il s’intègre et qu’il a compris les codes du pays mais ce n’est pas toujours le cas ».

L’environnement est aussi un facteur pour l’intégration. En Catalogne, beaucoup d’habitants ne supportent plus le tourisme de masse qui donne parfois une mauvaise image des Français en général. Le Français peuvent se sentir rejeté et cela peut être un frein à l’adaptation. Sarah Zozor conseille aux individus qui veulent s’intégrer d’assumer leurs lacunes en langue et d’oser demander de l’aide à l’autre. « C’est en créant son bagage émotionnel et augmentant son estime de soi que l’intégration se fait » conclut la psychologue.

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