[REPORTAGE] A Barcelone, l’enfer c’est (le bruit) des autres

medecin français à Barcelone

Entendre ses voisins au quotidien est devenu un vrai cauchemar pour certains Barcelonais. Si certains parlent d’un manque de savoir-vivre, une réglementation acoustique inadéquate serait également responsable de ce problème. Reportage. 

Portable qui vibre, disputes, musique ou électroménager, les Barcelonais ont parfois l’impression de vivre dans le même appartement que leurs voisins. Selon une étude de Cuida Tu Casa, 16% des Espagnols affirment devoir vivre avec ce type de bruit, dont 2,6% depuis plus d’un an. Pour cet organisme spécialisé dans la rénovation pour améliorer le confort et le bien-être dans le logement, le chiffre pourrait être bien plus élevé. Ainsi 8 personnes sur 10 seraient habituées à ces nuisances sonores, sans se rendre compte qu’elles sont anormales.

Comme dans de nombreuses villes, le bruit est strictement réglementé dans la capitale catalane. L’annexe II.7 de l’Ordonnance Générale de l’environnement urbain de Barcelone établit des limites de décibels en fonction de trois tranches horaires et des pièces de vie. Par exemple pour un salon, la limite est de 35 dB entre 7h et 23h. Selon l’OMS, Organisation Mondiale de la Santé, les niveaux conseillés au sein d’un logement sont entre 35 et 40 dB la journée, ce qui correspond à une conversation normale. La nuit, ils doivent être autour de 30 dB. Toutefois, dans de nombreuses situations, les niveaux sont largement dépassés. Passer l’aspirateur peut générer jusqu’à 75 décibels. 

« On ne choisit pas ses voisins »

Aïda et Nicolas vivent dans l’Eixample, à Fort Pienc. Nicolas habite depuis 6 ans dans son appartement. Ce logement présente pour lui tous les avantages: lumineux, loyer correct et à deux pas de son travail. Mais il rencontre un problème au quotidien: le bruit provoqué par ses voisins jour et nuit: “j’entends leurs activités nocturnes car nos deux chambres sont collées (…) et d’un autre côté, j’entends un chien aboyer tous les jours, entre 7h30 et 8h et entre 22h et 22h30”. Ces nuisances sonores ont commencé à devenir très pesantes pour le Français. Après s’être acheté des boules quies, il n’hésite plus à taper sur les murs pour montrer son mécontentement, “ça calme légèrement” affirme-t-il.

Nicolas a décidé de réagir en envoyant des lettres aux locataires et propriétaires. “Ça a été un premier pas pour aller mieux, je me sentais soulagé, j’avais l’impression d’avoir un peu de contrôle sur la situation car j’étais désemparé”. Et puis un jour, il décide de régler le problème d’isolation en réalisant près de 2.000 euros de travaux: “Le bruit est minimisé mais ce n’est pas non plus le silence. Mais j’ai eu au moins ce que je voulais: pouvoir dormir la nuit”. 

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Si Nicolas en est arrivé là, c’est qu’entendre ses voisins commençait à lui saper le moral. “J’étais dans un état de stress permanent. Je rentrais chez moi après une journée de travail, et rien que d’entendre leur voix m’angoissait. Je me disais je ne vais pas dormir ce soir (…) cela me rendait très nerveux, je me sentais poussé à bout”. Un véritable cercle vicieux. “J’ai même dormi un temps dans une autre pièce tellement je ne supportais plus ce que j’entendais depuis ma chambre. Toutes mes nuits étaient pourries”.

Déménager? Nicolas n’y a pas vraiment pensé: « je préfère investir dans des travaux que dans un déménagement (…) quand on visite l’appartement on ne peut pas savoir à l’avance les nuisances sonores. On ne choisit pas ses voisins ». Quant à porter plainte, le locataire a jugé les démarches peu claires. « Je me disais surtout que la Guardia Urbana n’allait pas se déplacer pour ça (…) on a peu de moyens de pression, car un propriétaire ne peut pas virer son locataire juste pour cette raison » ajoute-t-il.

Dénoncer son voisin

Sophie habite à L’Hospitalet de Llobregat, en banlieue proche de Barcelone et ce n’est pas beaucoup mieux. “J’entend le portable de mon voisin vibrer, sa petite fille hurler et sans parler du reste (…) mais maintenant je reste zen. Je peux dire que la culture espagnole est différente de la culture française, bruyante et plus chaleureuse ». Quand on lui demande si elle a déjà envisagé de porter plainte, Sophie répond “malheureusement ce n’est pas de la faute de mes voisins. C’est plutôt contre la mairie que je devrais porter plainte pour avoir permis de fabriquer des appartements avec des murs matière papier!”

Pour solutionner ce problème, la municipalité tente tant bien que mal de se positionner comme un intermédiaire. Les Barcelonais ont le droit dé dénoncer les gênes provoquées par les voisins pour « excès de bruit« . Pour cela, il faut appeler la Guardia Urbana afin que des agents viennent faire une inspection. Sur le site de la mairie, plusieurs conseils sont donnés aux habitants pour minimiser les nuisances sonores chez eux. Les habitants peuvent aussi consulter le niveau de bruit de leur rue grâce à la carte stratégique du bruit, en indiquant une adresse. 

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Vers une prise de conscience?

Si certaines personnes évoquent un manque de savoir-vivre, ce n’est pourtant pas la seule raison. Sandra Barañano est la directrice technique d’Andimac, l’Association Nationale des Distributeurs de Céramique et Matériaux de Construction en Espagne. Contactée par Equinox, cette spécialiste de la construction nous explique “qu’avant il n’y avait pas de normes de protection acoustique (…) le mauvais isolement des logements n’est pas un problème d’utilisation de matériaux de basse qualité mais de loi qui n’était pas adaptée”. Ce point signifie que des logements ont été construits sans prêter attention à des critères acoustiques.

Avant la première norme de 1988, il y avait peu de limites, ainsi une grande partie des murs sont aussi épais que du papier. Mais en 2009 en Espagne est entré en vigueur le Document Basique de Protection Face au Bruit. Il fait partie du Nouveau Code Technique de la Construction. Il établit un ensemble de règles et de procédures qui ont pour objectif de réduire la propagation du bruit aérien, des impacts, vibrations et installations.

L’experte souligne que le problème d’isolement ne date pas d’hier “les gens se sont habitués à vivre avec le bruit sans être affectés, ils se sont habitués à ne pas avoir le choix”. Mais depuis peu, les habitants auraient une prise de conscience. “Aujourd’hui, nous sommes face à un changement des mentalités, une évolution de la société (…). À l’heure actuelle, les gens sont plus sensibles au bien-être. On a mis en tête que chez soi on doit se sentir bien. Des obstacles à ce bien-être comme les nuisances sonores agacent et nous n’avons plus envie de les supporter”. D’autres facteurs entrent également en compte, comme le vieillissement de la population. Les gens ressentent plus un besoin de confort à partir d’un certain âge. 

Pour Sandra, même si la prise de conscience est primordiale, il faudrait qu’il y ait des aides venant des communautés autonomes et du gouvernement espagnol pour réellement régler ce problème. Le bruit est devenu un véritable phénomène de société. Il existe même la Journée Internationale Contre Le Bruit qui se tient en avril. L’objectif est de sensibiliser sur le thème, voire d’y apporter des solutions. En attendant, plusieurs organisations se sont montées pour aider les Barcelonais, comme l’Association Catalane Contre la Pollution Sonore. Elle lutte contre les causes et les effets du bruit grâce à des professionnels, tels que des techniciens, aides juridiques et psychologues.

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