Indépendance catalane : ce qu’il va se passer aujourd’hui





Jour J, Heure H, aujourd’hui à 18h, avec le discours d’indépendance du président Puigdemont pourrait définitivement changer le cours de l’histoire de la Catalogne.


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Après six ans de processus indépendantiste, qui ont mis fin à la carrière politique d’Artur Mas et ont tué Convergencia, son parti ainsi que celui de son associé historique -100 ans d’âge- Uniò democratica. Un chemin vers l’indépendance qui a emmené la Cup, le parti le plus anarchiste d’Europe, à prendre le contrôle du gouvernement de la Generalitat avec seulement 10 députés sur 135. Six années de feuille de route indépendantiste qui ont conduit des associations comme ANC ou Omnium à avoir un contact direct avec le président de la Generalitat, influençant quotidiennement ses décisions sans que personne ne vote pour ces entités.  Après des crises, des coups de théâtre, des convulsions, et des soubresauts, le processus va trouver son point d’orgue ce soir à 18h. Tout repose entre les mains et sur les épaules du président Puigdemont. Les choses que l’on sait avec certitude sont que le président va reconnaître officiellement les résultats du référendum du 1er octobre, le considérant de facto légal. Puigdemont, également sans ambiguïté, va expliquer que le « oui » a gagné sans discussion possible.

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Il est quasiment certain que le président de la Catalogne, du haut de la tribune, va proclamer officiellement l’indépendance de la Catalogne. Sous une forme ou sous une autre. La loi de transition, votée par le parlement catalan avant le référendum, et suspendue par le tribunal constitutionnel, dicte la conduite à suivre : si le oui remporte plus de suffrage que le non, la Catalogne sera indépendante. Dimanche 1er octobre, Carles Puigdemont a expliqué que la Catalogne avait gagné le droit de se constituer comme un nouvel état. Dimanche 8 octobre sur la chaîne publique TV3, il a asséné qu’il appliquerait la loi de transition. Carles Puigdemont proclamera donc à 18h la république catalane.

Le diable est dans les détails

L’entourage du président Puigdemont souhaite donner une coloration à cette déclaration. Le PDeCAT, le parti de Puigdemont souhaite que le ton soit pastel, tandis que le reste des indépendantistes (la gauche ERC, les associations indépendantistes) pencherait pour une couleur vive, et l’extrême gauche de la Cup aimerait un rouge explosif. Le Pdecat, ce parti qui a pris la suite de Convergencia, tuée par le processus indépendantiste et la corruption, reste le mouvement de la bourgeoisie et des grandes entreprises. Après que 15% du PIB catalan a pris la fuite avec le changement des sièges sociaux des banques et des grandes entreprises, PdeCat supplie le président Puigdemont de ne pas déclarer unilatéralement l’indépendance. De l’édulcorer au maximum, en l’assortissant d’un délai de réflexion avant de la rendre effective. Voire de remplacer la déclaration d’indépendance par une nouvelle élection régionale pour vérifier que l’indépendantisme soit encore majoritaire dans la population. Le PDeCAT explique qu’en cas de déclaration d’indépendance « dure » l’Etat espagnol va suspendre l’autonomie de la Catalogne, comme l’y autorise l’article 155 de la constitution et que tout peut encore empirer.

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Nous avons déjà tout perdu, répliquent les tenants de la ligne dure.  L’Espagne a déjà bloqué les comptes bancaires de la Catalogne, et même une déclaration light d’indépendance attirerait les foudres du gouvernement qui suspendrait l’autonomie.




Pour ces adeptes de la position radicale, faire une déclaration entre deux eaux serait pire que tout :  l’Espagne punirait de toute façon la Catalogne et la déclaration light ferait perdre le soutien vital de la rue et pourrait mettre un terme définitif à l’aventure séparatiste. Histoire de rappeler au président ses obligations, l’association ANC a convoqué près du parlement une grande manifestation à partir de 17h qui devrait réunir des dizaines de milliers de personnes. L’extrême-gauche de la Cup a quant à elle déjà affirmé que si Puigdemont ne faisait pas une déclaration d’indépendance prenant effet sur le champ, ça serait une trahison. La Cup tient la rue, et des affrontements ne sont pas à exclure si le président ne va pas assez loin dans sa déclaration.

Ceux qui conseillent le président Puigdemont

Le choix final revient au président Puigdemont. Néanmoins il consulte, reçoit, écoute un certain nombre de personnes.  Depuis des mois, ceux qui ont le moins d’influence sur le président sont, paradoxalement, les responsables de son propre parti Pdecat. Bien qu’avec la fuite des banques, le Pdecat a eu droit à un peu plus d’attention de la part de Puigdemont. Le conseil des ministres a une influence très relative également sur le président. Depuis le remaniement de juillet, où les figures les plus modérés ont quitté le navire, les voix radicales sont plus fortes. Le porte-parole Jordi Turull et le ministre de l’intérieur Joaquin Forn tous deux du Pdecat et adeptes de la main de fer prennent des décisions dans le sens que veut Puigdemont. L’ami du président, le très modéré Santi Vila qui demande un arrêt du processus indépendantiste, est écouté par Puigdemont, mais c’est un des seuls influents qui demande de calmer le jeu.

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De nombreux ministres catalans, et les responsables du Pdecat, déplorent qu’un conseil occulte, non élu et non nommé officiellement, prenne de nombreuses décisions. Cet organe non officiel qui porte le nom de “Etat Major du processus”, qui se réunit chaque jour et qui supervise toutes les décisions de Puigdemont est composé de : Artur Mas, Jordi Sanchez (président de l’asso indépendantiste ANC), Jordi Cuixart (président de l’asso indépendantiste Omnium) Oriol Soler, président de l’entité culturelle Grup Cultura 03, Xavier Vinyals, entrepreneur dans les énergies renouvelables, Xavier Vendrell, l’ancien secrétaire général de la Generalitat, Josep Rius, chef de cabinet de Puigdemont et Elsa Artadi, directrice générale de la coopération interministérielle.

Ce que va dire Puigdemont

Plusieurs scénarios possibles s’offrent au président

# Déclarer symboliquement l’indépendance de la Catalogne, sans effet, et convoquer des élections régionales (très peu probable)

# Déclarer officiellement l’indépendance, laisser une période de 3 à 6 mois pour que l’Espagne ou l’Europe fasse une médiation, avant de prendre les premières mesures de déconnexion (peu probable)

# Déclarer officiellement l’indépendance, prendre les premières mesures effectives en douceur et progressivement, et stopper le processus si l’Espagne négocie (très probable)

# Déclarer officiellement l’indépendance et considérer que la Catalogne dès ce soir ne fait plus partie de l’Espagne (très peu probable)




Ce que va faire l’Espagne

On spécule beaucoup sur la possible application de l’article 155 de la constitution qui permet au gouvernement central de prendre le contrôle des compétences de la Generalitat : présidence, gouvernement, gestion de la police, des finances, de la justice. Il faut garder la tête froide sur un aspect : pour appliquer le 155, il faut que Mariano Rajoy envoie un courrier au président de la Generalitat pour lui expliquer ses griefs, saisir la commission des autonomies du Sénat, que la Generalitat apporte ses arguments à la commission du Sénat, qu’une séance plénière du Sénat valide la commission, enfin la décision est portée en conseil des ministres. Au bas mot, il faut cinq jours pleins pour que les démarches prennent effet.

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Si Puigdemont déclare l’indépendance ce soir, l’article 155 au plus tôt sera en vigueur lundi 16 octobre. Impossible que l’Espagne laisse passer une semaine sans apporter une réponse effective. De plus Mariano Rajoy ne pourra pas se présenter jeudi prochain au défilé militaire de la fête nationale espagnole avec une Catalogne indépendante et un article 155 en cours d’examen. Attention aussi aux difficultés techniques de la mise en place de cet article bombe atomique.

Article de la constitution imposé en 1978 par l’armée en échange de compétences attribuées aux autonomies, il n’a encore jamais été appliqué une seule fois. Personne ne pensait l’appliquer, c’est un article dissuasif. Attention, dit l’Espagne a ses autonomies, nous avons l’article 155. L’appliquer est passer à un autre stade. L’exécutif espagnol est parti se renseigner en Allemagne fédérale. L’article 155 est une copie d’un texte allemand. Pas de chance, Outre-Rhin non plus le dispositif n’a jamais été mis en place.

On parle de provoquer de force des élections régionales via l’article 155. Compliqué, pendant les 2 mois de période électorale qui formerait le gouvernement ? Les membres actuels ? Une fois les élections passées, il faut entre 2 mois et 3 mois pour former un nouvel exécutif, pendant ce temps, le précédent gouvernement est encore en fonction.  On est donc avec une période de 5 mois (2 mois avant les élections, plus 3 mois après) où l’État espagnol devrait composer avec un gouvernement provisoire. Déloger le gouvernement indépendantiste pour le remplacer de force par un gouvernement du PP (le parti de Rajoy) qui n’obtient que 10% aux élections semble impossible. Sans compter que PdeCat, ERC, et la Cup (les 3 parties indépendantistes) 72 députés sur 135, ont d’ores et déjà annoncé un boycot de ces supposées élections qui perdraient donc toute crédibilité.

Si Mariano Rajoy veut une réponse rapide, dès demain il devra destituer Carles Puigdemont de ses fonctions de président. Là aussi casse-tête, si Puigdemont n’est plus président, c’est le vice-président, l’indépendantiste Oriol Junqueras qui prend la relève. Si lui aussi est destitué, c’est le parlement qui doit investir un nouveau président.

declaration dindependance catalogneSi le gouvernement espagnol veut faire peur aux hommes politiques indépendantistes, il peut incarcérer Puigdemont en appliquant le code civil avec le risque d’enflammer la rue. Le gouvernement espagnol peut aussi instaurer une sorte d’État d’urgence comme en France, en élevant sévèrement le risque de violences urbaines. L’Etat espagnol ressemble au géant aux pieds d’argile.

Ce que va faire la rue

En cas de déclaration d’indépendance, la rue ce soir va faire la fête. Selon la réponse de l’État espagnol, elle peut s’animer, s’exciter ou s’enflammer. Les assos indépendantistes ANC, Omnium et la Cup ont un contrôle quasi absolu en Catalogne. En cas d’application de l’article 155, la grève générale est assurée.

En cas de destitution de Puigdemont des tensions extrêmes sont à prévoir. En cas d’incarcération du président, les violences pourraient rapidement dégénérer. Le parc de la Ciutadella, jardin du parlement, est fermé au public aujourd’hui. La circulation autour de l’Arc de Triomf est coupée aux véhicules pour laisser la place aux manifestants dès 17h.


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