Equinox publie tout l’été sa grande collection: les présidents de la Catalogne moderne. De Francesc Macià en 1932 à Quim Torra en 2019, retour sur les grandes figures dirigeantes du territoire catalan.
Difficile de vivre en Catalogne et de n’avoir jamais entendu le nom Maragall. Le président Pasqual Maragall et son frère Ernest, actuel chef de l’opposition à la mairie de Barcelone. Mais pas que. Ce nom fait partie de l’imaginaire catalan depuis 1880. Le grand-père, Joan Maragall a écrit les lettres de noblesse de la Catalogne avec ses poèmes modernistes.
Dès sa tendre jeunesse, Pasqual Maragall s’intéressa à la lutte clandestine contre la dictature franquiste en Espagne. Après le militantisme de ses années universitaires, il défendra les droits sociaux. Ainsi, il devint un membre important du Parti socialiste de Catalogne (PSC).
Après avoir travaillé à l’hôtel de ville et été professeur à l’Universitat Autònoma de Barcelone, Pasqual Maragall présente sa candidature pour devenir maire de la capitale catalane. Il remporta la ville en 1982 et renouvela son mandat à trois reprises jusqu’en 1997. Grâce à l’organisation des Jeux Olympiques de Barcelone en 1992, et de par la durée exceptionnelle de son mandat, Pasqual Maragall jouit d’une popularité très importante encore aujourd’hui au sein de la population barcelonaise.
La fin du Pujolisme
En 1999, Pasqual Maragall abandonne la mairie, pour tenter de réaliser le rêve du Parti socialiste: prendre le contrôle de la Generalitat. Le gouvernement de la Catalogne est dirigé depuis le rétablissement de la démocratie par le centre droit nationaliste catalan. Bien que les socialistes soient puissants, notamment dans la ceinture rouge: Barcelone et sa grande couronne, Jordi Pujol et son parti Convergència sont indéboulonnables de la Generalitat. D’ailleurs, le saut vers la Generalitat de Pasqual Maragall en 1999 le fait atterrir dans l’opposition. Même s’il n’a pas réussi à former une majorité parlementaire, son arrivée dans la course présidentielle rend évident le besoin de changement d’une partie importante de la société catalane après les années de Convergència.
Ce changement arriva en 2003, quand le PSC entre au gouvernement en coalition avec les indépendantistes de gauche (ERC) et les écologistes (ICV).
Cette coalition à trois eut une vie politique agitée, marquée par la réforme du statut d’autonomie de la Catalogne, la norme institutionnelle des compétences de la Generalitat. Après avoir été approuvée par le Parlement catalan fin 2005, l’administration centrale mit un coup de canif dans le texte en modifiant plus de la moitié des articles. La réforme fut finalement ratifiée par la société catalane en juin 2006, avec cependant plus de 50% d’abstention. Un statut d’autonomie, retoqué par le Tribunal constitutionnel en 2010, qui le transforme en coquille vide et déclenche la colère des Catalans, se traduisant par la mise en route du processus moderne indépendantiste.
Peu de temps, après le référendum du statut d’autonomie en Catalogne, Pasqual Maragall rend public son refus de se présenter comme candidat aux prochaines élections. Beaucoup pensent, et même des maragallistes, que l’homme a été un maire de Barcelone aussi brillant que sa présidence de la Catalogne fut terne et abîmée par le fiasco de la reforme du statut d’autonomie.
Il céda sa place au socialiste José Montilla, qui remporte les élections et devient le président en 2007, avec le soutien d’un gouvernement de coalition des trois mêmes partis de gauche. Les mois suivants, Josep Maragall montra sa désaffection avec le PSC et finit par en abandonner la militance.
L’héritage politique
Ce que l’on retient aujourd’hui des années Maragall, c’est sa volonté infatigable de dialogue. Sa conception de l’Espagne ressemble d’ailleurs à « Ode à l’Espagne », le poème de son grand-père. “C’était un homme constant, fidèle à ses idées et à sa manière de faire” commente la journaliste Mont Carvajal, auteur du livre « Maragallades ». « Cette volonté du dialogue lui a permis de monter un front de gauches et mettre fin à l’hégémonie du parti catalaniste conservateur. Une caractéristique pas très courante aujourd’hui” analyse la journaliste.
Sans grand succès, Manuel Valls avec sa candidature à Barcelone à tenter de se placer en successeur de Maragall, en débauchant une partie de l’équipe du cabinet de l’ancien maire et en clonant aussi le nom du parti. Maragall a créé « Ciutadans pel cambi » (Citoyens pour le changement), Valls a baptisé sa plateforme électorale Barcelona Pel Cambi (Barcelone pour le changement). Même Ada Colau a tenté de surfer sur la nostalgie de la grande époque en déclarant que le meilleur maire qu’ait connue Barcelone s’appelait Pasqual Maragall.
Son héritage est encore présent en 2019 avec les lois qu’il impulsa en faveur des droits sociaux, sa lutte envers les quartiers les plus défavorisés de Barcelone et les lois de protection environnementale, dont il fut l’un des pionniers.
Les « Maragallades »
On se souviendra de Pasqual Maragall pour son comportement peu conventionnel. Des anecdotes qui portent même un nom: les « Maragallades », exprimées dans un sens affectueux.
Mont Carvajal fait le récit d’un voyage présidentiel en Algérie en 2004. En marge du cortège officiel, Maragall se promene dans un marché local pour y acheter des poires cactus, il s’échappe sans rien dire à personne. Ses agents de sécurité partirent à sa recherche. “Il fallait le connaître pour le comprendre” explique la journaliste.
La lutte contre l’Alzheimer
Lors de son retrait de la vie politique en 2007, l’ex-président annonça qu’il souffrait d’Alzheimer. C’était alors une maladie inconnue pour le grand public. Pasqual Maragall voulu mettre sa notoriété au service de la cause, dédier ses ressources et son temps restant à combattre la maladie. Il créa la Fondation Pascual Maragall, pour financer la recherche médicale.
En 2010, il joue dans le documentaire « Bicicleta cullera poma« , un portrait de la lutte du président contre la maladie pendant deux ans. Aujourd’hui, il vit avec sa femme Diana Garrigosa, éloigné de la vie publique. “Je pense que cette maladie est comme une métaphore” commente Mont Carvajal. “Que l’ex-président Maragall perde la mémoire veut dire aussi que tout le pays la perd”.