Pourquoi la chaleur impacte la santé mentale en Espagne

Jordi Cotrina El Periódico

En Espagne, l’été n’a plus rien d’une pause ensoleillée. Il se vit à huis clos, volets tirés, fenêtres closes, ventilateurs et clims au maximum. Depuis plusieurs années, les vagues de chaleur battent des records de précocité, d’intensité et de durée. Ils sont désormais une menace sanitaire à part entière, avec des répercussions physiques, mais aussi psychiques.

Photos : Clémentine Laurent

Quand on pense chaleur, on pense sueur, inconfort physique, mais rarement psychique. Pourtant, les effets des hautes températures sur la santé mentale se multiplient : troubles du sommeil causés par les nuits tropicales, irritabilité causée par le manque de sommeil, troubles cognitifs, crises d’angoisse. Et le gouvernement l’a d’ailleurs bien compris puisque le 3 juin 2025, la ministre de la santé Mónica García a annoncé la dotation d’une nouvelle enveloppe de 229,2 millions d’euros pour renforcer le système de santé, dont 39 millions spécifiquement alloués à la santé mentale et 17,8 millions à la prévention du suicide.

Un effort nécessaire, au vu de la gravité de la situation. Une étude publiée en 2025 dans la revue scientifique JAMA Network Open révèle, en effet, que la chaleur altère les capacités d’attention chez les adolescents, un impact mesuré aussi dans la population adulte par l’augmentation des consultations en santé mentale lors des canicules. Les pics de chaleur affectent le fonctionnement du cerveau, perturbant la mémoire, la prise de décision, et aggravant les troubles anxieux et dépressifs. Les populations les plus précaires – sans climatisation, dans des logements mal isolés – sont les plus exposées.

Ce dérèglement climatique frappe aussi le huis clos familial. Chaque été, les violences conjugales repartent à la hausse. En 2024, l’Espagne a enregistré 19 féminicides durant l’été, soit plus de la moitié des 35 féminicides signalés cette année, entre le 20 juin et le 22 septembre. Le ministère de l’Intérieur a reconnu une corrélation entre les périodes de forte chaleur et les pics de violences.

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Plusieurs études internationales confirment ce lien : la chaleur agit comme un facteur aggravant dans des contextes déjà violents. L’irritabilité, la promiscuité estivale et la fermeture temporaire des structures d’accueil rendent les femmes victimes de violences encore plus vulnérables.

Un gouvernement actif

Pour y répondre, le gouvernement a renforcé son dispositif. Le Plan National contre les Températures Extrêmes 2025 prévoit un suivi étroit des vagues de chaleur, avec quatre niveaux d’alerte, des campagnes de prévention ciblées et des consignes d’adaptation des horaires de travail. Il inclut désormais des mesures spécifiques pour les populations à risque : personnes âgées, enfants, malades chroniques, sans-abri… mais aussi des actions coordonnées avec les services sociaux et les dispositifs d’urgence.

En parallèle, l’État a lancé un Plan d’action en santé mentale sur la période 2025-2027. Objectif : améliorer l’accès aux soins, renforcer les équipes de santé mentale dans les centres de santé primaire, mettre en place des unités mobiles d’intervention rapide. Le plan prévoit aussi des actions spécifiques de prévention du suicide, dont les taux augmentent légèrement pendant les mois d’été selon les données du ministère.

 

météo catalogne

Malgré ces avancées, les critiques persistent. Des ONG comme Human Rights Watch dénoncent une réponse encore trop lente, notamment dans les quartiers populaires où les équipements publics restent insuffisants. Les alertes climatiques ne s’accompagnent pas toujours d’un déploiement de structures d’accueil climatisées, et le soutien psychologique en période de canicule reste inégalement réparti sur le territoire.

Dans un pays qui a connu 22 jours de chaleur extrême en 2024, le lien entre climat et santé mentale n’est plus une hypothèse mais une urgence : l’Espagne doit s’adapter à ce nouveau danger.

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