C’est le début de la saison estivale, et comme chaque année, les habitants de Barcelone sont à bout de nerfs avec l’arrivée massive de touristes. Les associations de défense de riverains demandent à la mairie d’appliquer 13 règles contre le tourisme invasif afin de pouvoir mieux vivre ensemble dans la capitale catalane.
Le tourisme pour les Barcelonais, ce n’est pas que des rues encombrées ou du bruit généré par les fêtards. C’est aussi une transformation radicale du marché locatif de la ville. A Barcelone, le loyer moyen est désormais supérieur au SMIC et se loger est devenu un parcours du combattant. Les offres pour les résidents se sont considérablement réduites, au profit des logements touristiques ou des logements temporaires de moins d’un an. Les riverains déplorent par ailleurs la transformation de leur quartier. Les rideaux des commerces de proximité se baissent, tandis que les établissements proposant des brunchs ou des cafés à emporter façon New York ouvrent leurs persiennes.
C’est surtout le nombre de visiteurs disproportionnés qui inquiète. Barcelone, c’est 1,6 million d’habitants pour 26 millions de touristes à l’année. L’association ABDT (Assemblée des quartiers pour la décroissance touristique) vient de publier un manifeste qui est remis à la mairie de Barcelone avec 13 mesures d’urgence contre le tourisme. Equinox reproduit ici le manifeste dans son intégralité, avec le décryptage de la rédaction sur les mesures demandées.
Réduction de l’activité et des infrastructures aéroportuaires
Retrait inconditionnel de tous les projets d’extension de l’activité et des infrastructures aéroportuaires, définition immédiate de plans pour réduire les vols intérieurs et internationaux, ainsi que les jets privés.
L’association n’est pas du tout écoutée, et par aucune institution. La semaine dernière, le gouvernement espagnol, l’exécutif catalan et la mairie de Barcelone ont conjointement annoncé l’agrandissement de l’aéroport du Prat. Une mesure demandée par les milieux économiques en raison de la saturation des structures actuelles. L’aéroport Josep Tarradellas Barcelona-El Prat a enregistré un record mensuel de passagers en mai, avec 5 176 437 utilisateurs, soit une augmentation de 3,7 % par rapport au même mois en 2024. Après l’agrandissement de l’aéroport, la capacité de transit des passagers devrait passer de 55 millions à 70 millions de passagers par an.
Fermeture des terminaux de croisière
Réduction du nombre de terminaux de croisière dans le Port de Barcelone, en commençant par l’annulation anticipée (avant 2027) des concessions des terminaux A, B et C. Création d’un comité citoyen avec des institutions sociales et environnementales pour planifier la fin des concessions restantes.
En 2023, le port de Barcelone a enregistré environ 800 escales de navires de croisière, accueillant plus de 3 millions de croisiéristes. Ce chiffre varie légèrement selon les sources, mais il reflète une forte reprise post-Covid, proche des 875 514 croisiéristes de 2019. Pour 2025, avec l’agrandissement de l’aéroport et la réorganisation portuaire (déplacement des terminaux vers Moll Adossat), le nombre d’escales pourrait rester stable ou augmenter légèrement, mais aucune donnée précise n’est confirmée pour cette année.
Plus aucun logement touristique dans la ville
Interdiction d’octroyer de nouvelles licences pour des logements touristiques dans toute la ville, y compris les hôtels, résidences étudiantes et espaces de co-living. Élaboration d’un plan métropolitain restrictif d’hébergements touristiques.
La mairie a annoncé l’interdiction d’appartements touristiques à Barcelone. Cependant, la mesure est plus symbolique qu’autre chose. Le nombre de logements touristiques ne cesse de croître et le maire socialiste a levé l’interdiction d’ouvrir de nouveaux hôtels qui avait été décrétée par Ada Colau
Élimination de la location touristique à court terme et régulation des locations saisonnières et des colocations
Récupération immédiate des logements détournés vers le marché touristique pour les réintégrer dans le marché locatif résidentiel à long terme, via la révocation de toutes les licences de location touristique à court terme. Régulation des contrats saisonniers et des chambres en location pour respecter les conditions de la LAU (durée minimale des contrats et prix régulés).
Le gouvernement catalan a répondu que la loi sur les baux temporaire de 11 mois ne serait pas abrogée.
Éradication de la location touristique illégale à court terme
Renforcement des équipes d’inspection et des sanctions pour poursuivre et fermer les locations illégales de courte durée. Mise en œuvre d’un protocole d’action plus efficace pour pallier le manque d’efficacité actuel.
Limite aux événements de grande envergure
Introduction de deux conditions pour l’organisation de tout événement de grande envergure : rédaction de rapports d’impact social (emploi, logement, santé publique, mobilité…) et environnemental. Consultation publique contraignante.
Au contraire, la mairie via le Palais des expositions s’est félicitée que Barcelone attire les plus grands événements : du musical Sonar au technologique Mobile World Congress. La municipalité encourage les grands promoteurs à venir organiser leurs raouts dans la capitale catalane. Comme on le voit d’ailleurs dans cette vidéo officielle de la mairie :
Fin des privilèges du secteur touristique dans la gestion de l’eau
Comparaison de l’industrie touristique, y compris toutes les formes de location à court terme, à d’autres activités industrielles, afin qu’elle soit soumise aux restrictions imposées dans les protocoles de sécheresse. Contrôle et audit de la consommation d’eau dans le secteur touristique et imposition de plafonds de consommation si nécessaire. Traitement du tourisme comme une activité économique non-essentielle dans la planification de la gestion de l’eau.
Depuis la fin de l’état d’urgence en raison de la sécheresse au début du printemps, les établissements hôteliers ne sont plus inquiétés par aucune restriction.
Décommercialisation de l’espace public
Stopper et inverser le processus de muséification et de commercialisation des espaces publics, comme Montjuïc, les Batteries antiaériennes ou la Ciutadella. Pour le Park Güell, comme mesure transitoire urgente, réduire le nombre de billets en vente de 50 % jusqu’à la baisse de la pression touristique.
La mairie a déjà octroyé au Park Güell une plage horaire de visite réservée aux locaux tous les matins.
Conditions de travail décentes dans le secteur tertiaire touristique
Revalorisation salariale et établissement d’un cadre réglementaire minimum pour les conventions collectives dans l’hôtellerie, la restauration et le commerce. Interdiction de la sous-traitance et de l’externalisation, et mise en place d’un programme spécial et rigoureux d’inspection du travail pour lutter contre les irrégularités. Formation générale et spécialisée pour professionnaliser les travailleurs. Interdiction d’ouverture les dimanches et jours fériés.
Ici aussi la mairie va dans le sens opposé avec une libéralisation de l’ouverture des commerces le dimanche.
Retour du commerce aux habitants
Protection du commerce de proximité avec des activités de la vie quotidienne nécessaires aux résidents, et régulation des loyers commerciaux. Régulation ou interdiction, selon les cas, des licences pour les établissements et services destinés aux touristes, et des terrasses de bars et restaurants. Interdiction des stands de dégustation dans les marchés municipaux.
Dans cette demande, la mairie semble plus ouverte, la chasse est faite aux terrasses trop grandes, et la municipalité veut faire un effort pour réguler les ouvertures de boutiques touristiques et défendre le petit commerce.
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Abandon de la promotion publique du tourisme
Fin des financements publics pour la promotion touristique, ainsi que des subventions et exonérations fiscales pour le secteur. Démantèlement du consortium Barcelona Turisme et transformation en agence publique dédiée à la réduction et reconversion du secteur, la promotion d’alternatives économiques, et la réinsertion professionnelle des anciens employés.
Faire payer le secteur touristique pour les dépenses publiques qu’il génère
Réalisation d’une étude approfondie sur les services publics exploités de manière intensive par l’industrie touristique, afin d’allouer les dépenses correspondantes dans les domaines du transport, du nettoyage, de l’entretien, de la sécurité, de la gestion des déchets, de la santé, etc.
Développement de politiques publiques pour une ville habitable
Transformation du modèle touristique par le développement de politiques publiques destinées à répondre aux besoins de loisirs, de détente et de récréation de la population locale, dans un cadre d’équité géographique et en lien avec l’écoféminisme et l’économie sociale et solidaire.
Pendant que les assos se démènent, plus de 25,6 millions de visiteurs étrangers ont foulé le sol espagnol entre janvier et avril 2025. Du jamais vu.