Fuir n’est pas une solution, rester non plus : la chronique littéraire de février

chronique littéraire

Tous les mois, le libraire Christian Vigne nous livre les dernières nouveautés littéraires. Des ouvrages à retrouver à Jaimes, la librairie française de Barcelone (Carrer de València, 318). 

C’est sans doute un point commun à tous les auteurs et probablement à tous les êtres et à toutes les choses que d’être le produit de leur époque. Sans doute le fait pour une chaise d’avoir été conceptualisée en 1789 lui promet-elle une autre allure que si elle est le résultat d’une pensée contemporaine. Toutefois, une chaise reste une chaise. Ce qui, j’en conviens, est une introduction assez vide de sens.

Prenons les choses dans un autre ordre. Orson Wells faisait dire à un personnage du troisième homme qui était lui-même, si je ne m’abuse, que l’Italie sous les Borgia avait produit Michel-Ange, et quelques crimes monstrueux, et que la Suisse en 500 ans de démocratie et de paix n’avait réussi à produire qu’une pendulette qui faisait coucou.

« Mon fils, sache-le, l’écriture n’a pas de fin, beaucoup de livres, beaucoup d’études épuisent la chair. »  Ecclésiaste XII, 12

Long ennui générationnel

Nicolas Mathieu a 44 ans, il est donc né dans les années 80, a grandi en province, a largement parlé de l’ennui de cette époque dans « leurs enfants après eux » qui lui a valu le prix Goncourt. Il revient aujourd’hui avec « Connemara » dont le titre évidemment s’associe à la chanson de Michel Sardou, une époque vous disais-je. La chaise restant la chaise, Connemara poursuit en d’autres formes, la description de ce long ennui générationnel, du temps qui passe suffisamment lentement pour qu’on s’aperçoive un jour qu’on n’a rien fait de sa vie et que le miroir nous indique qu’il est déjà trop tard, que plus rien n’est à commencer.

« Connemara », de Nicolas Mathieu ed. Actes Sud

chronique littéraire

« Qui sait interpréter les événements, la sagesse éclaire son visage et la dureté de ses traits en est transformée »  Ecclésiaste VIII.1

Brin d’optimisme

Sophie FORTE, en revanche, regarde son passé avec plus d’optimisme, sans doute avec plus de tendresse, d’affection. Il est vrai que pareille plongée dans l’univers familial s’initie au travers d’une vieille valise où photos de famille entassées révèlent l’histoire de père, mère, tante, oncle, grand-père, sans oublier le chien. La famille est farfelue, l’émotion est permanente, tourbillonnante, les personnages sont pimpants, aux destins hors du commun.

« La valise » de Sophie FORTE. Ed. Prisma

« J’envie les morts déjà morts plutôt que les morts vivants qui sont encore vivants »  Ecclésiaste IV.2

Confrontations tragi-comiques

Penser avoir dessoudé un policier à Madrid, conditionner le reste de sa vie sur ce fait non avéré, s’enfuir de crainte d’une arrestation et entrer dans cette Espagne désertée. Voici l’argument de « Les dégueulasses » de Santiago Lorenzo. Ed. Seuil.

Manuel se contraint à une autarcie ratatinée, tentant d’effacer les marques de son existence, cherchant à ne plus exister ou à n’être plus sous le regard de qui que ce soit. Seulement, Manuel, se satisfaisant de sa prostration, voit arriver, à côté de sa planque, une famille, flanquée de toute sorte de gadgets technologiques, offensant son ermitage, révélant à outrance ce qu’il serait advenu de l’espèce humaine ; des abrutis rongés par la nécessité consumériste. Ce que ne voit pas Manuel, c’est l’autre caricature, celle du bobo idéaliste, autocentré et donneur de leçons, infichu de seulement pouvoir imaginer les faussetés dans lesquelles il se complaît.

Le résultat de ces confrontations est d’une drôlerie, tragique et lyrique qui nous fait avaler 236 pages comme si de rien.

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