« Pour ma fille et moi, Barcelone est devenue une prison »

Françaises toutes les deux, Jocelyne et sa fille Eva ne peuvent pas quitter l’Espagne sous peine de poursuites judiciaires. Une situation qui touche des dizaines de femmes à travers le monde. 

Les traits tirés, mais le rouge aux lèvres, Jocelyne est une battante à bout de forces. « J’ai peur de craquer », confie-t-elle, les larmes aux yeux, dans un café barcelonais où l’a accompagnée une amie. Séparée depuis trois ans du père d’Eva, également français, elle raconte des violences psychologiques qui n’ont jamais cessé. Mère et fille subissent menaces, harcèlement et humiliations de l’ex-mari, sans savoir vraiment quoi faire. La collégienne ne s’intéresse plus à l’école, ses notes sont en chute libre et elle devient insomniaque. Finalement, c’est elle qui porte plainte en début d’année pour « être protégée de son père ».

Prise en charge par un tribunal spécialisé dans la violence faite aux femmes, Jocelyne reprend espoir. Elle obtient une garde provisoire exclusive, mais qui vient accompagnée d’une interdiction pour Eva de quitter le territoire, au moins jusqu’à la décision définitive. Une rude surprise pour Jocelyne, qui ne comprend pas comment l’Espagne peut les empêcher de rentrer dans leur pays. Et pourtant, même si elle obtient la garde définitive, le père peut garder ses droits parentaux et elle aura besoin de son accord pour toute décision concernant la santé d’Eva, son éducation et les sorties du territoire jusqu’à ses 18 ans. Jocelyne est effondrée. Elle qui a tant aimé cette ville y vit maintenant un cauchemar. « Nous sommes bloquées ici, Barcelone est devenue notre prison ». 

Car si toute la famille est française, c’est la justice espagnole qui statue. Et bloquer des ressortissants étrangers, « ça ne dérange aucun Etat dans le monde », explique Laure Carchon-Veyrier de Mots et Maux de femmes. L’association accompagne chaque mois une quarantaine de femmes expatriées victimes de violences conjugales et intra-familiales, et le cas de Jocelyne est loin d’être unique. « Même après la séparation, la violence continue, et elle est souvent dupliquée, avec au centre l’enfant complètement instrumentalisé ». La retenue sur territoire est ainsi un classique des ex-maris violents pour tenter de garder leur emprise et elle peut durer des années, nous explique la bénévole.

Rentrer en France, un délit pour la justice espagnole

Alors bien sûr, comme de nombreuses femmes avant elle, elle a pensé fuir, convaincue qu’elle serait protégée par son pays. Très mauvaise idée, l’ont alors avertie Laure Carchon-Veyrier, les associations espagnoles d’aide aux victimes de violences et même la gendarmerie française, qu’elle a contactée. « Elle serait poursuivie pour enlèvement et risquerait la prison », confirme l’avocat pénaliste Javier Madrid. Pas question non plus de trouver du secours auprès du Consulat ou de l’Ambassade de France en Espagne. « Quand il y a des jugements en cours, la diplomatie française ne peut pas prendre parti », explique la porte-parole de Mots et Maux de femmes.

960px Ciutat de la Justicia BCN i Hosp 1« On est tout de même en Europe et on ne peut pas circuler librement ni rentrer dans son pays ? », s’insurge à plusieurs reprises cette mère épuisée. Heureusement, elle a pu compter sur le soutien de quelques amis barcelonais et de plusieurs associations, comme celle de Laure, qui permettent « d’avoir quelqu’un à qui parler sans se culpabiliser de toujours en parler à ses proches ». Un processus primordial selon la bénévole. « Il y a encore quelques mois, elle n’avait pas conscience de l’ampleur de l’emprise et des violences subies, or, en identifiant toutes ces violences, elle a pu les ajouter au dossier judiciaire ».

Mais en se jetant corps et âme dans cette bataille, Jocelyne a aussi perdu toutes ses économies, ruinée par les frais de justice, les avocats et les innombrables traductions assermentés. « La violence psychologique est très difficile à démontrer surtout quand nous ne sommes pas espagnols et qu’il faut traduire toutes les preuves écrites des violences verbales, les traductions n’ont plus la même force et c’est moins pris au sérieux, et surtout c’est très cher ». A chaque étape, l’élégante quadra de Pedralbes a l’impression de devoir se battre deux fois plus que les autres car elle est étrangère. Mais pour sa fille, elle frappera à toutes les portes, épuisera tous les recours possibles. « Je la vois en échec scolaire, elle ne pense qu’à ça, ça la ronge, je ne peux pas rester sans rien faire ». Profitant de nouvelles menaces reçues, ses avocats vont demander une autorisation expresse de sortir de territoire. Une démarche qui pourra réclamer encore des mois d’attente, sans assurance de succès.

 

Les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat des victimes


Si vous êtes français à l’étranger et victime de violences conjugales, intra-familiales ou post-séparation, contactez Mots et Maux de femmes par whatsapp ou par téléphone au +33 7 61 01 70 01

Le numéro espagnol d’assistance de victimes de violences de genre est le 016,  le whatsapp 600 000 016, le chat en ligne violenciagenero.igualdad.gob.es et le mail [email protected]

 

 

 

 

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