Le nombre d’expatriés a fortement augmenté ces dernières années à Barcelone, causant de plus en plus de frictions avec la population catalane. Phénomène passager ou fracture inquiétante ? Éléments de réponse.
Photos : Cyane Morel
Dans le langage courant barcelonais, un « expat » est un immigré d’origine occidentale, le plus souvent européen ou nord-américain. Il a (forcément) réalisé des études universitaires et occupe un poste bien rémunéré. Même le très sérieux journal La Vanguardia estime que tous les immigrés venant de pays plus riches que l’Espagne sont eux-mêmes plus riches que les Espagnols.Et si l’on en croit également les récents reportages de la presse locale et de la télévision publique catalane, l’expat ne parle pas espagnol, encore moins catalan, et ne fait aucun effort d’intégration. Une belle caricature donc, perpétuée par rejet de la différence selon l’anthropologue Jose Mansilla.
« On ne parle que de ce type d’expatrié, car il remet en question la façon de vivre de certains », explique ce professeur de l’Université autonome de Barcelone. Et il est vrai que le paysage urbain change à mesure que le nombre d’Européens augmente. Les restaurants spécialisés dans les brunchs et autres speciality coffees envahissent Ciutat Vella et l’Eixample, leurs deux quartiers préférés. Mais si ces enseignes visent aussi un public étranger, comme l’indiquait Yassir Rais, fondateur du Syra Coffee, dans un récent épisode de podcast, c’est le public local qui constitue la première cible.
Une étude récente indique en effet que les jeunes Espagnols, en particulier à Barcelone, sont de plus en plus attirés par des cuisines internationales, avec par exemple une augmentation de 30 % de la fréquentation des restaurants japonais entre 2020 et 2023. « Le monde change, les attentes changent et il faut s’adapter », explique le chef colombien d’un restaurant du quartier de Gràcia spécialisé.. en sushis. « C’est le propre d’une ville, en opposition aux zones rurales, la ville s’enrichit de tous ses nouveaux arrivants », explique Jose Mansilla.
De ville catalane à ville-monde
Mais la transformation de Barcelone fut particulièrement rapide et drastique, devenant en moins de 30 ans une ville internationale bouillonnante. Désormais, plus de 32% des Barcelonais sont nés à l’étranger, alors qu’ils n’étaient que 2% en 1996. Cette arrivée massive d’immigrés venus d’Amérique latine, d’Asie et du reste de l’Europe a profondément changé la physionomie de la ville, et c’est certainement dans l’usage de la langue catalane que le changement est le plus flagrant. Même s’il reste l’idiome officiel de l’enseignement et de l’administration, le catalan est devenu une langue minoritaire et pose évidemment un important problème tant sociétal que culturel. La barrière de la langue sépare ainsi presque naturellement certains locaux de certains immigrés, un sujet politiquement délicat.
Mais « se plaindre des étrangers, c’est la facilité », estime notre anthropologue. « On ne va pas parler des expatriés qui s’intègrent, et surtout on ne va pas parler de tous ceux à qui ces arrivées profitent et qui sont, eux, des locaux ». Et ils sont nombreux : entreprises qui recrutent des profils internationaux, nouveaux business montés à destination des Européens et, surtout, le marché immobilier.La forte demande de logements de la part des nouveaux arrivants coïncide avec un marché déjà sous tension, crispant un peu plus le panorama. De nombreux Barcelonais doivent quitter leur quartier d’orgine car les loyers explosent, et ce sont souvent des étrangers qui prennent le relais.
« Les expatriés ne sont pas responsables de la hausse des prix des logements, assure l’adjoint au maire Jordi Valls, c’est le manque de régulation et le manque de logements sociaux ». Et effectivement, les lois sont particulièrement libérales sur le sujet en Espagne, tandis que le parc de logements sociaux est l’un des plus bas d’Europe. « Les véritables responsables sont le manque de politiques publiques, mais aussi toutes ces grandes familles catalanes qui possèdent des empires immobiliers, augmentent les prix et s’enrichissent face à cette situation, mais c’est plus facile de se plaindre des gens qui viennent d’ailleurs que de ceux d’ici », observe Jose Mansilla.
Si rien n’est fait par les responsables politiques sur le brûlant sujet de l’accès au logement, le rejet des Européens, qui frôle la xénophobie selon l’anthropologue, pourrait donc continuer d’augmenter. « Ces nouveaux arrivants ont les mêmes besoins que la classe moyenne catalane, un travail, un logement, des loisirs, et cette classe moyenne se trouve donc en concurrence avec eux sur tous ces aspects ». D’où un rejet, de plus en plus décomplexé. Et la caricature pour le justifier, comme cette récente chanson du duo barcelonais Svetlana qui dépeint les expatriés comme de riches idiots ne vivant qu’entre eux et méprisant la population locale. Leur manager n’a pas répondu à nos demandes d’interviews.