Barcelone, tu l’aimes mais tu la quittes : la gentrification aura-t-elle raison de la capitale catalane ?

La Casa Orsola : symbole de la gentrification à Barcelone.

Autrefois, on quittait son quartier parce qu’on trouvait un meilleur boulot ailleurs, qu’on avait soif d’aventure, ou simplement parce qu’on en avait marre de croiser son ex à la boulangerie. Aujourd’hui, à Barcelone, on part surtout parce qu’on n’a plus le choix.

Photo : Casa Orsola

Dans le quartier de l’Eixample, entre 2022 et 2024, près de 10 000 habitants ont dû rendre leurs clés, non pas par envie de renouveau, mais parce qu’un propriétaire a décidé qu’il était temps d’optimiser son retour sur investissement. Les baux ne sont pas renouvelés afin de passer en location temporaire de moins de 12 mois, sortes de CDD de l’immobilier destinés à ceux qui sont de passage. Et voilà comment on se retrouve à faire ses cartons pour une coloc en banlieue ou une chambre chez mamie.

Un rapport présenté par cinq associations de résidents révèle ainsi que l’Eixample compte près de 232 immeubles à finalité purement spéculative, appartenant à un seul propriétaire. Et là où il y avait des familles, des étudiants et des retraités, on prévoit désormais des appartements de luxe avec vue sur les dégâts causés par la gentrification. Cinq maisons de retraite ont ainsi été priées de mettre les voiles. Coworking en EHPAD ? Vu l’âge auquel on risque de partir à la retraite, il serait peut-être judicieux de garder les équipements et le personnel.

Rappelons qu’en janvier dernier, la mairie de Barcelone a annoncé l’achat de la Casa Orsola en collaboration avec l’organisation du secteur tertiaire Habitat 3. Le propriétaire de l’immeuble, situé au 122 Consell de Cent, dans l’Eixample, prévoyait de le rénover et de l’utiliser pour des locations de courte durée, mais une mobilisation sans précédent contre l’expulsion des locataires l’a amené à revoir ses plans. Le profil des résidents, pour la plupart des salariés de la classe moyenne, illustre la difficulté généralisée à faire face à l’escalade des prix du logement dans la cité comtale

Devenu un symbole de la gentrification, le cas de la Casa Orsola a été largement documenté par la presse nationale et sert d’exemple aux Barcelonais qui ne comptent pas se laisser faire. Assemblées, manifestations, campagnes de sensibilisation… Ils se battent pour ce qu’ils appellent ni plus ni moins que la vente à la découpe de leur quartier. Mais en face, les propriétaires ont déjà deux longueurs d’avance et une armée d’avocats spécialisés dans l’art subtil de contourner les lois. Prise en étau entre les propriétaires arguant qu’ils devraient pouvoir faire ce que bon leur semble de leur bien et les locataires qui demandent des conditions de logement dignes (comme de ne pas avoir à déménager une fois par an), la mairie tente bien d’encadrer le processus. L’an dernier, une loi a été adoptée pour empêcher les agences de faire payer des frais mirobolants avant de signer le contrat… Pour être aussitôt contournée grâce à ces fameuses locations temporaires.

Conséquence directe : les locataires plient bagage. On estime qu’environ 70 000 personnes quitteront Barcelone au cours des cinq prochaines années, soit l’équivalent de la population du Raval. Direction la campagne, où l’air est plus pur et où le mètre carré ne coûte pas un rein.

Un phénomène qui ne s’arrête pas aux frontières catalanes. Car, de Paris à New York en passant par Lisbonne, la hausse des loyers et le tourisme de masse transforment les centres-villes en vitrines désertées par leurs habitants. Ajoutez à cela une pincée d’aviation low-cost et de télétravail, et vous obtenez un monde-village aux loyers inabordables. Un village où les habitants historiques sont priés de laisser leur place aux nomades digitaux, ces nouveaux explorateurs du XXIème siècle, MacBook sous le bras, airpods vissés dans les oreilles et café à 7 euros à la main.

Mais les locaux ne sont pas les seuls concernés. Nombreux sont les expatriés de longue date à ne plus pouvoir se permettre de débourser le prix d’un loyer en centre-ville. Ils regrettent une époque où l’on pouvait vivre en coloc pour 200 à 300 euros et où l’on n’était pas obligé de fournir l’intégralité de sa vie administrative pour louer un appartement.

Qu’ils en soient à leur première ou à leur dixième expatriation, ils parlent souvent plusieurs langues, sont surdiplômés mais sous-payés, et ne se sentent chez eux nulle part. Impossible de revenir dans un Paris gentrifié, difficile de rester dans une Barcelone où les prix ont grimpé. 

Ils regardent vers Madrid, Porto ou Marseille, mais ces villes de plus en plus hostiles semblent déjà pousser leurs semblables dehors. Tandis qu’à la campagne on regarde d’un mauvais œil ces télétravailleurs déconnectés des réalités locales.

Mais revenons, à nos moutons, ou plutôt à nos gentrifiés. 

Barcelone saura-t-elle préserver son âme, ou finira-t-elle par ressembler à une version édulcorée d’elle-même, entre bubble tea, cafés bio et avocado toasts à prix exorbitants ? Expatriation rime-t-elle toujours avec gentrification ? La capitale catalane pourra-t-elle résister à cette transformation ou se fondra-t-elle dans le moule des métropoles interchangeables ? Vous avez deux heures.

 


Pour célébrer ses 14 ans, Equinox a demandé à ses journalistes de choisir leurs écrits préférés.

Pour cet article, originellement publié le 3 mars 2025, Lou Antonoff explique : « j’ai aimé écrire cet article parce qu’il touche à un sujet à la fois local et universel : la gentrification dont nous sommes parfois, dans le même temps, victimes et auteurs. À Barcelone, elle prend une forme particulièrement complexe, mêlant tensions économiques, identités culturelles et fracture entre les habitants historiques (souvent catalans) et la population expatriée croissante. »

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