L’Espagne vieillit, mais pas partout au même rythme. Tandis que certaines provinces se vident, d’autres restent jeunes. Pour freiner l’exode rural, de nombreuses régions misent sur des aides à l’installation.
Photo : AC/Equinox
L’Espagne est aujourd’hui un pays déchiré par une fracture démographique qui ne cesse de se creuser. D’un côté, les cris d’enfants résonnent encore dans les cours d’école d’Almería ou de Murcie. De l’autre, des villages entiers de Galice ou de Castille s’endorment lentement, bercés par le pas feutré des retraités. En toile de fond : un vieillissement massif de la population espagnole, qui avance à géométrie variable, un peu à l’image de notre diagonale du vide en France.
Selon les dernières données de l’Institut National de Statistiques (INE), l’Espagne compte aujourd’hui plus de 10,7 millions de personnes de plus de 65 ans, contre 7,5 millions de mineurs. Deux provinces seulement — Almería et Murcie — présentent encore une pyramide des âges où les jeunes surpassent les aînés. À l’extrême opposé, des territoires comme Zamora ou Ourense affichent un déséquilibre abyssal : trois fois plus de retraités que d’enfants.
Les chiffres sont implacables : 22 % des Espagnols ont plus de 65 ans, contre 15 % de mineurs. À Ourense, la différence atteint les 203 %, un record. À Zamora, plus d’un tiers de la population est retraitée. En face, Ceuta, Melilla, Almería ou encore Murcie apparaissent comme des poches de jeunesse : à Ceuta, les mineurs sont 65 % plus nombreux que les personnes âgées.
Si Madrid et Barcelone concentrent les chiffres absolus les plus élevés (respectivement 1,41 million de retraités pour 1,11 million de mineurs à Madrid, et 1,23 contre 0,92 million à Barcelone), leur pyramide démographique reste plus équilibrée.
Des villages qui refusent de mourir
Face à ce dépeuplement rural, les régions les plus touchées réagissent avec inventivité. En Galice, le projet « Ourense Rural es Vida » a débloqué 150 000 euros de fonds européens pour encourager le télétravail et l’entrepreneuriat. Dans la commune de Rubiá, on verse jusqu’à 150 euros par mois aux nouveaux arrivants, avec des loyers sociaux à partir de 50 euros. À Xesta, des maisons entières sont louées pour 100 euros, à condition d’y faire venir une famille.
Ailleurs, les aides se multiplient : déductions fiscales en Aragon, primes à la naissance dans les Asturies, subventions à l’achat jusqu’à 40 % du prix en Rioja, maisons à bas prix en Castille-et-León. Yanguas (Soria) en a fait une stratégie assumée : le maire affirme avoir attiré plus de 50 familles d’autres régions ou de l’étranger.
Derrière cette volonté de repeuplement, de plus en plus de programmes publics se tournent vers les nouveaux arrivants : jeunes Espagnols, familles en exode urbain, ou réfugiés. C’est ainsi que Sabiha, 50 ans, réfugiée syrienne et veuve, a retrouvé un semblant de paix à Bellaguarda (Lleida), où elle cultive aujourd’hui les jardins municipaux. « Cela me rappelle la campagne de mon mari, et ici, tout le monde me parle avec le sourire », raconte-t-elle à The Guardian. Son fils aîné vit à Barcelone, et ses enfants plus jeunes sont désormais scolarisés en catalan. « Ce n’est pas facile, mais où que soient mes enfants, je les suivrai », ajoute-t-elle.
Walther, journaliste colombien de 37 ans, a fui la persécution homophobe dans son pays natal après avoir été blessé par balle. Il vit aujourd’hui à Campdevànol (Gérone), dans les Pyrénées catalanes, grâce à un programme de soutien aux personnes LGBTIQ+ exilées. « Ici, je me sens en paix – c’est le plus important », dit-il. Il partage un logement avec deux compatriotes, travaille localement et retrouve parfois l’ambiance urbaine à Barcelone. « Je n’ai pas renoncé à la ville, mais j’ai trouvé ici une forme de dignité. »
En Catalogne, le programme « Oportunitat 500 » reloge depuis quelques années des familles venues de Syrie, d’Ukraine, de Colombie ou du Venezuela dans des villages de moins de 500 habitants. Une trentaine de familles réfugiées — originaires d’Ukraine, de Syrie, du Venezuela, d’Afghanistan ou encore d’Équateur — ont emménagé dans une vingtaine de villages catalans de moins de 500 habitants, dans le cadre du programme Oportunitat 500. Ces familles bénéficient d’un emploi local (rémunéré environ 19 400 € bruts par an par le Service catalan de l’emploi) et d’un logement fourni par la commune.
Bien que leurs récits personnels ne soient pas toujours détaillés, les coordinateurs soulignent que le but est clair : « Que ces familles s’intègrent, s’adaptent et finissent par vivre avec nous pour contribuer à la revitalisation du territoire ». Une dynamique dont tout le monde sort gagnant, habitants comme nouveaux arrivants.