Pourquoi l’eau du robinet coûte si cher à Barcelone

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Barcelone affiche l’une des factures d’eau du robinet les plus élevées d’Espagne, et même d’Europe. Entre stress hydrique, investissements dans le dessalement et gestion privée, les raisons s’additionnent — tout comme les euros sur les factures.

(Crédit : Pixabay)

En Espagne, toutes les villes ne sont pas égales face au prix de l’eau. Et Barcelone fait figure de mauvaise élève. Selon l’Organisation des consommateurs (OCU), un foyer de taille moyenne (3 à 4 personnes) paie en moyenne 520 € par an pour 175 m³ d’eau. C’est trois fois plus qu’à Guadalajara, où la même consommation coûte à peine 164 €. Même Madrid, pourtant capitale, s’en sort mieux avec environ 253 € par an, soit moins de la moitié du tarif barcelonais.

Et ce n’est pas fini. En 2025, la facture a encore grimpé : l’aire métropolitaine a validé une hausse moyenne de +5,95 %, ce qui a fait passer une facture type de 47 à 49 € tous les deux mois. Les gros consommateurs sont les plus impactés, avec une augmentation de +6,7 %, tandis que les ménages économes ont vu leur note grimper de +2,9 %.

« On vient de recevoir notre facture d’eau pour les deux derniers mois, et j’ai l’impression qu’elle est super élevée, surtout sachant que pour l’instant, l’appartement est vide car on fait une rénovation complète », s’inquiète Rebecca, une expatriée américaine à Barcelone qui travaille dans la vente. « Il n’y a que les ouvriers qui y passent la journée, et en plus l’eau est coupée au compteur la plupart du temps… D’après la facture, on a consommé seulement 8 m³ d’eau en deux mois… mais le montant est de 95 € ! Franchement, ça me fait un peu peur : si c’est ce qu’on paie quand l’appart est vide, à quoi va ressembler la facture une fois qu’on y vivra vraiment ? »

Un sentiment de vol partagé par de nombreux expatriés. « Je leur ai aussi envoyé un e-mail pour me plaindre : on a utilisé 8 m³ d’eau et payé 59 € (pour la même consommation il y a trois ans, on avait payé 41 €). J’imagine que les prix ne font qu’augmenter… », indique Anna, graphique designer originaire d’Italie. « C’est pareil pour moi avec toutes ces « tasas ». Même quand j’étais à l’étranger pendant un mois, la facture était élevée », note Emily, une Américaine de 30 ans.

Ces taxes, justement, elles font lever plus d’un sourcil. « Mes taxes sur ma facture d’eau sont super élevées, c’est dingue », se plaint Ruja, une jeune Russe. « Elles n’arrêtent pas de fluctuer — elles ont doublé cette année. D’après ce que j’ai compris, chaque mois de janvier, ils revoient la consommation de l’année précédente et, sur cette base, recalculent la tasa. Il y a quelques années, on était quatre à partager l’appartement (soit deux personnes de plus que les années précédentes), donc l’année suivante, la tasa a doublé. Ensuite, quand ils sont partis, elle a de nouveau baissé de moitié l’année suivante. Et l’an dernier, on était à nouveau quatre… résultat : cette année, la tasa a encore doublé ! C’est la seule explication que j’ai trouvée à toutes ces fluctuations », déclare-t-elle, un peu penaude.

Une eau chère… même à l’échelle européenne

Barcelone n’est pas seule dans ce club peu envié des villes européennes à l’eau coûteuse. À Paris, le prix atteint 4,09 €/m³ TTC (hors abonnement), ce qui équivaut à près de 700 € par an pour 175 m³. En Allemagne, les factures sont comparables, voire supérieures : un foyer berlinois paie autour de 800 € par an pour l’eau et les égouts. Mais à Rome, l’eau reste plus accessible (≈2 €/m³), et à Milan, c’est encore mieux : seulement 230 € pour 252 m³.

Bref, Barcelone se situe dans le haut du panier européen — pas la pire, mais loin d’être bon marché.

eau catalogne

Mais pourquoi paie-t-on autant dans la cité comtale pour le produit le plus essentiel à notre survie ?

Plusieurs explications, à commencer par un territoire sec et vulnérable. Ce n’est une surprise pour personne, la Catalogne souffre régulièrement de sécheresses sévères. La ressource locale est insuffisante, obligeant Barcelone à importer de l’eau ou à mobiliser des solutions coûteuses. Les épisodes de stress hydrique de 2021 à 2023 ont ainsi imposé des restrictions… et alourdi la facture.

Le dessalement, solution aussi salée que l’eau de mer

Pour garantir l’approvisionnement, la ville s’est tournée vers le dessalement, un procédé énergivore. L’usine d’El Prat, construite en 2009, tourne à plein régime en cas de crise. En 2024, la Generalitat a même annoncé l’arrivée d’une usine flottante dans le port de Barcelone, pour 100 millions d’euros. Résultat ? Le prix de production s’envole. Le dessalement est l’une des méthodes les plus chères pour obtenir de l’eau potable. Et avec la flambée des prix de l’électricité, faire fonctionner ces infrastructures engendre encore plus de coûts.

On épinglera enfin une gestion qui n’est pas aussi claire que de l’eau de roche. À Barcelone, l’eau est gérée par Aigües de Barcelona, une société semi-privée (filiale de Veolia). Une structure régulièrement critiquée : selon plusieurs experts, l’eau coûte plus cher lorsqu’elle est privatisée, une partie du prix servant à rémunérer les actionnaires. La mairie a envisagé une remunicipalisation, mais sans aboutir. Résultat : un modèle qui combine marges bénéficiaires, coûts fixes élevés, traitement onéreux et même taxes annexes, comme la redevance sur les déchets incluse dans la facture d’eau.

« La facture d’eau payée par les citoyens ne dépend pas exclusivement de l’Agence Catalane de l’Eau (ACA) », nous indique de son côté l’institution, que nous avons interpellée. « Elle comprend en réalité plusieurs éléments, dont certains relèvent de notre compétence, comme ce que l’on appelle le canon de l’eau, une taxe environnementale appliquée dans toute la Catalogne. Ce canon représente entre 10% et 40% du montant total de la facture, selon la consommation. Cette taxe n’a pas été augmentée depuis 2017 », se défend-elle.

Reste que cette facture croissante fait ressurgir un débat de fond : faut-il continuer à confier l’eau au (semi-)privé, ou au contraire reprendre la main entièrement pour garantir un droit à l’eau abordable ? Mais avec quelles garanties, seulement ? En attendant que le débat avance, certains y réfléchiront à deux fois avant de laisser couler le robinet…

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