S’installer dans une nouvelle ville, c’est un peu comme tomber amoureux. On commence par voir la vie en rose et, petit à petit, les aléas du quotidien viennent ternir le bel éclat des débuts. Et Barcelone ne fait pas exception à la règle.
Photo : Clémentine Laurent
Quand les journées s’allongent, le Barcelonais d’adoption se dit qu’il a trouvé le paradis sur terre, entre les afterworks en terrasse, les escapades du week-end et les parties de volley entre copains. Sans parler de cette lumière !
Mais plus les rayons du soleil se font brûlants, plus la réalité commence à le rattraper.
Étape 1 : L’amour à la plage
Juin : Les soirées sont douces, les touristes encore timides. On va travailler en espadrilles (en fredonnant la chanson des Nuls), on redécouvre le plaisir de vivre dehors, et dès 18h sonnées, on va faire un plouf à la Barceloneta, serviette à l’épaule. On s’émerveille de la gentillesse des gens, de la beauté de l’architecture, et du fait qu’on puisse sortir danser un mardi soir.
On se prend à discuter avec le serveur du bar d’en bas, on se dit que les Catalans sont relax, que les Espagnols sont chaleureux (spoiler alert : ce ne sont pas les mêmes), et que cette ville nous veut du bien. On s’auto-félicite : « Mais pourquoi je ne suis pas venu m’installer ici plus tôt ? »
On commence même à avoir des habitudes : toujours le même chiringuito, la même rando dans le Maresme, et ce pote qui connaît un vrai bar local pas cher (où, soit dit en passant, le mojito est servi dans un pot de confiture). On fait des plans sur la comète. Barcelone, c’est la ville du renouveau, de la deuxième chance, du glow-up émotionnel. Bref, on a l’impression que sa vie est un clip de Rosalía et que Barcelone est la meilleure ville du monde.
Étape 2 : Le désespoir poisseux
Juillet : Sans qu’on sache vraiment comment, la descente s’amorce. On se réveille un beau matin, dans des draps collants de sueur, aveuglé par la lumière de ce satané soleil qui ne laisse personne en paix. Sur le quai du métro surchauffé, on se demande si on va tourner de l’oeil dans la rame bondée et glaciale. On s’inquiète alors de son mal de gorge en priant pour ne pas tomber malade. Grelotter de fièvre dans cette fournaise ? Même pas en cauchemar !
On est tiré de ses rêveries par un malotru qui nous écrase le pied. Les Nuls avaient peut-être raison : on n’a pas l’air si fins que ça, finalement, en espadrilles.
Déjà, on sent que la ville se tend, que les visages se ferment, que la chaleur ramollit les gens comme des glaces abandonnées au soleil.
Les plages ? Déjà saturées.
Les collines ? Envahies de familles à poussette.
Le vélo ? Un supplice.
Le trottoir ? Un champ de bataille entre valises à roulettes et influenceuses à selfie stick.
Étape 3 : Misanthropie estivale
Août : Toujours là. Plus par flemme que par choix. Les colocs sont partis prendre le frais en Bretagne ou dans les Pyrénées. Bonne nouvelle ? Eh non, ces petits malins ont sous-loué leur chambre sur Airbnb.
On se retrouve donc avec des touristes qui ne sortent pas les poubelles, rentrent à 5 heures du matin et trouvent absolument tout positivement « amazing » !
Trouver refuge dehors est totalement exclu, car sitôt le pas de la porte franchi, nous voilà entouré par des hordes de types aux pectoraux huileux à bord de leurs trottinettes électriques, tous munis de leur fidèle enceinte Bluetooth, et par des compatriotes en goguette célébrant des EVJ, qui vont jusqu’à nous traiter de grincheux si on refuse de se prêter à leurs simagrées.
Un moment d’inattention pour observer le grotesque spectacle de ces petits groupes bariolés, et un pickpocket en profite : quelle déveine !
Aller à la plage ? Et pourquoi ne pas aller traîner dans une décharge publique, tant qu’on y est !
Boire un verre en terrasse ? Elles sont prises d’assaut et coûtent maintenant le prix d’un déjeuner étoilé à Lyon.
Bref, on vit une sorte de syndrome de Stendhal à l’envers, où tout ce qui était beau devient laid, où les touristes remplacent les locaux, où les déchets recouvrent le sable, et où l’incivilité remplace la bonne humeur.
On se dit que l’été suivant, on fera mieux : on partira en juin, on reviendra en septembre, et entre-temps, on laissera Barcelone à ceux qui n’ont pas encore compris que l’été est la pire des saisons dans la cité comtale.