La Renfe, aujourd’hui synonyme de vacances ou de déplacements professionnels, possède une longue trajectoire historique. Celle-ci commence dans la dictature franquiste et continue aujourd’hui à susciter des polémiques en Catalogne.
Alors que prenait fin la guerre civile espagnole, le Conseil des ministres du régime de Franco du 24 janvier 1941 approuvait la création de l’organisme public Renfe, acronyme de Red Nacional de los Ferrocarriles Españoles (Réseau national des chemins de fer espagnols). Une naissance survenue grâce à la nationalisation du réseau ferroviaire espagnol, constitué de plus de 12 000 km de voies.
À l’époque, la Renfe absorbe toutes les sociétés privées qui exploitaient le transport ferroviaire depuis le milieu du XIXe siècle dont la Compañía del Camino de Hierro, fondée en 1845 par Miquel Biada i Bunyol, qui était d’ailleurs la toute première ligne de train de la péninsule ibérique. La plupart des pays européens firent de même, notamment la SNCF française qui engloutit à l’époque quatre compagnies régionales.
Lors de l’après-guerre espagnole, le trafic routier était quasi nul, et le train devient le système de transport principal en concentrant plus des trois quarts du mouvement des personnes et des marchandises en Espagne. On apprécie ici la puissance, à l’époque, de la Renfe. Au sein du gouvernement espagnol, c’est Alfonso Peña Boeuf, monarchiste, antirépublicain et anticatalaniste, qui défendit le projet de loi de création de la Renfe. Il en deviendra le président quelques années plus tard.
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D’ailleurs, Peña Boeuf ne sera pas une exception : sous le régime dictatorial, le ministère des Travaux publics et l’entreprise Renfe fut un vase communicant permanent. À chaque remaniement ministériel, le titulaire des Travaux publics héritait de la direction de Renfe. Véritable poule aux œufs d’ors, la compagnie a couvé, par exemple, Pilar Franco, la sœur du dictateur, sans aucune expérience dans les chemins de fer. Elle passa d’une pension publique de veuvage de 190 pesetas à une pension extraordinaire de la Renfe d’un montant de 5 200 pesetas (l’équivalent actuel d’environ 20 000 euros mensuels). Totalement inféodée au régime, la Renfe ira jusqu’à porter comme logo officiel l’aigle, symbole du franquisme.
Publication du résultat du concours de design du logo de Renfe. Source : Fondation Renfe.
Si pour les vainqueurs de la guerre civile la Renfe était un petit coin de paradis, pour les vaincus, c’était une descente aux enfers. Dans le but de développer le réseau, il fallait des bras. Et ils ne manquaient pas en Espagne. Le régime franquiste avait imaginé un système de rédemption des peines judiciaires par le travail. Il devait permettre de mettre en corvée les prisonniers politiques condamnés par les tribunaux militaires.
Entre janvier 1941 et décembre 1942, tous les anciens soldats de l’Armée de la République furent intégrés dans les « Bataillons disciplinaires de soldats travailleurs » et, entre autres, affectés aux travaux d’extension du réseau ferroviaire, comme l’aplanissement des terrains, la construction de talus, de viaducs et de tunnels ou encore la pose de traverses et de rails. Il s’agissait ni plus ni moins que d’esclaves. Selon une étude du professeur Josep Màrius Climent i Prats, publiée par l’Université Carlos III, le taux de mortalité de ce collectif avoisinerait les 5 %. En raison de cas de famine, de maladies ou de conditions climatiques extrêmes.
Pour les indépendantistes catalans, la Renfe est toujours franquiste
Dans la période pré-Renfe, le réseau ferroviaire (via les sociétés privées) s’articulait autour de plusieurs points nodaux reliés par l’axe Barcelone-Tortosa-Valence, suivant le tracé de l’antique Via Augusta romaine, colonne vertébrale du territoire. Un tracé qui changea considérablement avec la création de la Renfe. La carte, dessinée par le ministre des Travaux Publics Rafael Benjumea, créa un réseau centré sur un unique point nodal.
Cette disposition radiale du réseau ferroviaire, illustrée par des cartes exposées dans toutes les gares, mettait en avant son point central : Madrid. Tous les chemins menaient ou passaient par la capitale. Le reflet d’une Espagne unique et indivisible, clé de voute de l’État franquiste.
De fait, et c’est ce que reprochent encore aujourd’hui les indépendantistes, l’identité catalane diluée dans l’espagnolité du régime franquiste. Le camp nationaliste catalan déplore qu’en 2025, pour se déplacer à « grande vitesse » de Valence à Barcelone ou vice-versa, il faille passer par Madrid. Et le tracé du Corridor méditerranéen, qui reliera le Pays valencien et la Catalogne, passera lui aussi par Madrid.
Carte ferroviaire de l’Espagne en 1960. Source : Biblioteca Digital Hispánica
Niant toute idéologie néo-franquiste comme le sous-entendent les indépendantistes catalans, la Renfe invoque des raisons techniques. De peur d’être envahi de manière ferroviaire par les armées françaises voisines, le régime franquiste a fait construire des rails qui ne sont pas à la même taille que ceux du reste de l’Europe : ils sont plus larges, ce qui aurait mécaniquement bloqué tout wagon à la frontière.
Or la Renfe utilise encore aujourd’hui ces rails. Le gouvernement justifie donc le tracé actuel en exploitant d’abord les lignes existantes avant de construire de nouvelles sections dédiées. Ce qui explique le tracé actuel avec, encore, Madrid pour point central.