Bienvenue dans l’économie de l’entre-soi. À Barcelone, les Français sont si nombreux qu’ils ont créé leur propre circuit de logement alternatif. Ici, pas d’hôtel ni d’Airbnb, mais du bouche-à-oreille entre compatriotes. Une économie souterraine, discrète et illégale, qui prend de l’ampleur.
Photos : Clémentine Laurent
55 euros la nuit, petit-déjeuner inclus, à quelques encablures de la centrale Plaça Universitat. Venir séjourner chez Damien* coûte trois fois moins cher qu’un hôtel ou un Airbnb. Mais ce n’est pas tout à fait légal, puisque lui et sa colocataire sous-louent leur appartement à une tierce personne et n’ont évidemment pas le droit de « sous-sous-louer » cette troisième chambre.
Alors seule consigne aux locataires : faire profil bas. “On leur dit de se présenter comme nos cousins s’ils croisent les voisins.” Un rappel utile depuis que le propriétaire a commencé à poser des questions. C’est aussi pour cette raison qu’ils ont décidé de ne proposer leur hébergement qu’une fois par mois, pendant 4-5 jours environ, et seulement à des amis ou amis d’amis, principalement par bouche-à-oreille. Leurs « clients » sont de nationalités diverses mais très majoritairement français, les voyageurs accueillis ont en général moins de 30 ans, sont venus pour voir des proches ou pour un événement spécial comme le Primavera Sound Festival, par exemple.
Damien est bien loin d’être un cas isolé. Sur le groupe Whatsapp « Barcelona Rentals », ils sont de plus en plus nombreux à proposer un hébergement chez l’habitant, eux-mêmes souvent en coloc, chambre libre, et avec une envie de compléter les fins de mois sans trop attirer l’attention. Une tendance qui se traduit aussi dans les chiffres officiels : selon la dernière étude de l’INE (Insee espagnol), les logements non marchands ont bondi de 25% en un an.
Les bons plans pas chers… voire gratuits
Côté vacanciers, cette débrouille fait clairement baisser la facture. En avril 2025, un touriste français à Barcelone a dépensé en moyenne 780 euros. Bien loin des 1 240 euros des Allemands ou des 1 093 des Britanniques. Seuls les Italiens s’en sortent aussi bien, avec 797 euros de dépense moyenne. Dans leur cas, l’explication est la même que pour les Français : un hébergement “gratuit” ou à prix cassé, rendu possible par une diaspora nombreuse.
Camille*, jeune Nantaise de 27 ans, est venue passer quelques jours avec sa sœur en mai chez Damien, recommandé, évidemment, par le bouche-à-oreille. “On avait regardé Airbnb, mais j’ai parlé de mon voyage à un pote qui habite ici, il a demandé autour de lui et on a trouvé comme ça. On ne cherchait qu’un endroit pour dormir. C’était pas très cher, super bien placé, et on a pu garder notre budget pour les restos et les sorties.” Seule limite , “vu que tu habites chez des gens, on peut se sentir un peu moins à l’aise.”
Dans le même élan, les échanges de maison ont pris une ampleur folle depuis quelques années, et ce dans toute l’Espagne. Le concept permet de séjourner gratuitement chez l’habitant pendant que l’hôte séjourne chez vous, chacun mettant son logement à disposition de l’autre pour les vacances. Les échanges s’organisent aussi souvent à travers des groupes Whatsapp ou Facebook de Français à Barcelone, ou par le bouche-à-oreille.
Témoin du succès grandissant de ce système sans échange monétaire, la plateforme HomeExchange, qui sécurise cette pratique, a vu ses réservations bondir de 32% en 2024 puis doubler en 2025. « C’est un moyen comme un autre de pouvoir voyager et de faire des économies », nous expliquait récemment Cathy, une Toulousaine qui vient souvent à Barcelone avec sa famille grâce à ce système. Les Français sont d’ailleurs les premiers utilisateurs de cette plateforme, et l’Espagne est leur pays préféré. Les réservations françaises dans la péninsule ont elles aussi doublé depuis le début de l’année.
Mais au-delà des économies, loger chez l’habitant aide aussi à ne pas se faire arnaquer. Chaque personne, comme Camille, connait au moins une connaissance expatriée qui peut conseiller ou déconseiller certains endroits. Résultat : pas d’attrape-touristes, donc moins d’argent dépensé… et plus de séjours à Barcelone.
*prénoms d’emprunt