Pourquoi et comment Pedro Sanchez est encore au pouvoir en Espagne

Démission premier ministre

Cerné par des affaires de corruption de toutes parts, Pedro Sánchez arrive, pour le moment, à rester au pouvoir. Radiographie de la situation pour y voir plus clair.

Coup sur coup, les numéros deux et trois du parti socialiste, les deux bras droits de Pedro Sánchez, sont visés par une enquête pour détournement de fonds. L’ancien ministre des Transports, José Luis Abalos, et le secrétaire général adjoint du PS, Santos Cerdán, ont dû quitter la vie politique après avoir tapé dans la caisse. La levée de l’instruction d’un rapport de la Guardia Civil de 500 pages a mis en lumière des dialogues entre Santos Cerdán, José Luis Abalos et un homme à tout faire, Koldo García. L’objet des conversations réside dans des pots-de-vin associés à des marchés publics émanant supposément d’Acciona, une grande entreprise d’ingénierie et BTP. 620.000 euros auraient été détournés. Pour le côté glauque de l’affaire, les responsables se répartissaient des séances avec des prostituées avec l’argent volé.

Une motion de censure pourrait désormais, à tout moment, frapper Pedro Sanchez. Mais, contrairement à la France, elle doit être constructive. Si la droite, par exemple, dépose une motion, elle doit présenter, en même temps, un candidat au poste de Premier ministre. Les partis votant la destitution de Pedro Sánchez donnent automatiquement le pouvoir à son successeur. En l’espèce, le chef de l’opposition : le conservateur Alberto Feijóo. Donner le pouvoir à la droite, ou soutenir un parti frappé par la corruption, est le dilemme des partenaires de la coalition gouvernementale.

Quelle est la majorité qui a investi Pedro Sánchez ?

pedro sanchez espagne

L’investiture de Pedro Sánchez pour son nouveau mandat a eu lieu le 16 novembre 2023. Plus que la victoire d’une majorité progressiste, sa réélection comme président du gouvernement espagnol par le Congrès des députés, avec 179 voix favorables sur 350, a pris les allures d’un vaste marchandage politique. En Espagne, le président du gouvernement n’est pas élu au suffrage universel direct, comme le président de la République en France. Il est investi par les députés, c’est donc le résultat des élections législatives et la capacité à rassembler des soutiens au Congrès qui déterminent le chef de l’exécutif.

Dans le cas de Pedro Sánchez, les 121 députés de son Parti socialiste (PSOE) ont logiquement voté pour lui. Ils ont été rejoints par les 27 élus de Sumar, coalition de la gauche radicale, avec laquelle un accord de gouvernement a été signé, ainsi que par les 4 députés de Podemos. Le soutien de formations de gauche comme EH Bildu (Pays basque) et le BNG (Galice), déjà acquis lors de la précédente législature, s’explique par une certaine proximité idéologique avec le gouvernement sortant. Mais c’est l’appui des partis catalans qui a été déterminant. Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), formation indépendantiste modérée, a choisi de soutenir Pedro Sánchez dans l’espoir de normaliser la situation en Catalogne, toujours marquée par la crise ouverte en 2017 lors de la tentative de sécession et des poursuites judiciaires qui ont suivi. L’objectif affiché : apaiser les tensions et faire avancer le dialogue entre Barcelone et Madrid.

Plus inattendu encore, Junts per Catalunya, parti indépendantiste radical de centre droit dirigé par Carles Puigdemont – en exil en Belgique depuis 2017 – a accepté de soutenir le dirigeant socialiste. Cette décision a été prise au terme d’un long marchandage. En échange de leur appui, les députés de Junts ont obtenu notamment la possibilité d’utiliser le catalan au Parlement national et au Sénat. Ils ont également exigé que le gouvernement espagnol défende la reconnaissance du catalan comme langue officielle de l’Union européenne. Une condition fortement symbolique pour Puigdemont, qui reste sous le coup de poursuites judiciaires en Espagne pour son rôle dans la tentative de sécession. Junts avait pourtant un temps envisagé de voter en faveur du candidat du Parti populaire (PP), Alberto Núñez Feijóo. Mais l’alliance nécessaire avec le parti d’extrême droite Vox, fermement opposé à toute concession aux indépendantistes, a fini par les pousser dans les bras de Pedro Sánchez pour signer une alliance contre-nature.

Même scénario pour le Parti nationaliste basque (PNV), formation autonomiste de centre droit, qui a franchi un seuil symbolique en soutenant un gouvernement composé de socialistes et de la gauche radicale. Le PNV a justifié ce soutien par la nécessité d’éviter une coalition entre la droite conservatrice et l’extrême droite, mais aussi en échange de contreparties concrètes : des engagements budgétaires pour des projets d’infrastructures, dont le développement de lignes à grande vitesse ferroviaires au Pays basque.

Enfin, le soutien de la députée de la Coalición Canaria, petit parti régionaliste de centre droit, s’est également négocié sur la base d’un accord financier. Madrid s’est engagé à payer pour plusieurs projets spécifiques liés au logement, aux infrastructures et à l’emploi dans l’archipel. Là encore, il ne s’agit pas d’une adhésion idéologique, mais d’un soutien tactique pour défendre les intérêts des Canaries.

Au total, Pedro Sánchez est parvenu à reconstruire une majorité parlementaire disparate, marquée par une grande diversité d’orientations politiques et territoriales. Une coalition fragile, dépendante de multiples équilibres, qui devait soutenir Pedro Sanchez, comme la corde soutient un pendu jusqu’à la fin de la législature en 2027. La crise de corruption transforme aujourd’hui toutes ces alliances en relations aussi toxiques les unes que les autres.

Sumar : la vice-présidente Yolanda Díaz se cache

Gouvernement espagne

 

Elle a disparu. La pourtant très volubile ministre du Travail et numéro deux du gouvernement espagnol Yolanda Díaz fuit les caméras. Et les députés aussi. Assaillis par les coups de butoir de la droite, surexcités par les affaires de corruption. Pedro Sánchez n’a pas pu compter, au sein du Parlement, sur le soutien de sa vice-présidente jeudi dernier, lors des traditionnelles questions au gouvernement.

La formation Sumar est en danger de disparition. Le 27 octobre dernier, Íñigo Errejón, figure majeure du parti a quitté la vie politique après de multiples affaires de harcèlement sexuel. Podemos, frère jumeau de la gauche extrême, dirige les attaques : Sumar est composé de traîtres et ne peut pas représenter le féminisme. Avec l’affaire de corruption, Podemos met les socialistes et Sumar dans le même sac pour demander la fin de ce gouvernement et des élections anticipées. La solidarité gouvernementale pour porter Sanchez est très lourde à porter pour Yolanda Díaz. Peut-être trop et la tentation de le laisser au bord du chemin est bel et bien présente.

Esquerra : le parti aux mains propres

salvador illa

 

ERC est un des plus anciens partis d’Espagne. Né, il y a plus d’un siècle, le mouvement indépendantiste se vante de ne jamais avoir eu un corrompu dans ses files. Cependant, pour continuer à soutenir Sanchez, ERC sort des gants. Compliqué de jeter le gouvernement par la fenêtre. D’abord, ça serait donner le pouvoir à une majorité alternative composée par la droite et l’extrême droite. Impensable pour un parti très à gauche comme Esquerra.

Ensuite, les indépendantistes ont noué des accords globaux avec les socialistes. Ils soutiennent à la fois Pedro Sánchez à Madrid, mais aussi le président catalan socialiste, Salvador Illa. En échange, ERC a obtenu que la Catalogne puisse gérer les trains régionaux, une demande historique du camp souverainiste catalan. Une opération très complexe sur le plan administratif, qui au bout de deux ans, commence à peine à porter ses fruits.

Puigdemont : entre besoin d’amnistie et désir de droite

Junts n’a pas non plus intérêt à ce que Sánchez tombe et que de nouvelles élections soient convoquées. D’une part, parce qu’il se pourrait que ses députés ne soient plus décisifs comme c’est le cas actuellement, et d’autre part, parce que plusieurs accords en cours avec le gouvernement restent à finaliser, comme la reconnaissance officielle du catalan au sein des instances de l’Union européenne. C’est justement sur ce point que l’attitude du Parti populaire constitue une ligne de fracture difficile à combler entre les deux partis. La position des conservateurs sur la question linguistique, particulièrement sensible pour les partisans de Carles Puigdemont, reste d’une féroce opposition. Le PP a multiplié les manœuvres à Bruxelles afin d’empêcher la reconnaissance officielle du catalan en Europe.

Par ailleurs, les dossiers judiciaires attachent de force Sánchez et Puigdemont. Si la gauche devait quitter le pouvoir, le procureur général serait destitué et un nouveau gouvernement de droite nommerait une personnalité que les indépendantistes redoutent, car elle pourrait relancer les « dossiers » des personnes encore poursuivies pour des affaires liées à la déclaration d’indépendance de 2017.

Il faut rappeler que la loi d’amnistie voulue par Sanchez pour se rabibocher avec le camp indépendantiste n’a pas encore pu être appliquée. Le Tribunal constitutionnel rendra sa décision sur cette loi d’ici la fin du mois, mais la Cour suprême a déjà laissé entendre qu’elle refuserait de l’appliquer dans le cas de Puigdemont et de plusieurs dirigeants condamnés, au motif que le délit de malversation ne pourrait être amnistié s’il y a eu enrichissement personnel ou atteinte aux intérêts de l’Union européenne.

Les Basques dans l’embarras

Les électeurs conservateurs du PNB (Parti nationaliste basque) sont les plus enclins, de tous les votants, à rejeter l’immigration illégale, selon une enquête du CIS en 2025. Pourtant, leur parti est membre d’une coalition englobant la gauche radicale.

Si le PNB ne laisse pas chuter Sanchez, c’est pour lui-même ne pas finir dans le vide. Le PNB dirige le puissant conseil régional du Pays Basque  grâce au soutien des socialistes locaux. S’il retirait son appui à Sánchez à Madrid, les socialistes pourraient appliquer la loi du talion à Vitoria, s’allier à l’extrême gauche locale de Bildu pour leur donner le conseil régional.

S’ajoute également le problème des quatre droites en Espagne : la droite traditionnelle du PP, l’extrême droite de Vox et les droites catalanes et basques. Si elles sont d’accord, sur les plans économiques ou de sévérité dans les politiques migratoires, elles s’opposent violemment sur les langues et identités régionales. Ce qui empêche pour le moment toute union.

Combien de temps va agoniser Pedro Sánchez ? Parle-t-on en jours, en semaine ou en mois ? Difficile de répondre. La capacité personnelle de résilience du Premier ministre est prodigieuse. Cependant, tenir jusqu’à la fin de la législature en 2027 apparaît au-delà de toute portée. D’autant que la capitale espagnole bruisse de rumeurs sur de nouveaux épisodes de corruption socialiste à venir.

Les analystes s’accordent sur un fait. Le principal parti d’alternance, le PP, souffre autant de corruption que les socialistes. Le Premier ministre conservateur Mariano Rajoy a perdu le pouvoir en 2018 après que son parti fût qualifié d’organisation de malfaiteurs par la justice espagnole. Chaque nuit de plus passée au Palais de la Moncloa par Pedro Sánchez fait par conséquent gagner un bulletin de vote à l’extrême droite de Vox.

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