Les personnes résidant à Barcelone savent que travailler en pleine canicule peut vite se transformer en véritable cauchemar lorsque la clim’ ne suit pas… ou lorsqu’elle transforme le bureau en igloo. Il existe pourtant des lois qui encadrent les températures.
Photos : Ajuntament de Barcelona
Depuis plusieurs années, Barcelone affronte des étés de plus en plus intenses sous l’effet du réchauffement climatique : fréquences d’alertes orange et nuits tropicales, des vagues caniculaires qui s’enchaînent et provoquent un stress thermique croissant pour ses habitants. Alors que les rues se font refuge autour des fontaines et dans les 400 “refuges climatiques” installés cette année à travers la ville, qu’en est‑il des employés de bureau ?
Pour certains qui travaillent entre quatre murs avec clim mal réglée, ventilateur timide, ou fenêtres grandes ouvertes vers l’extérieur, c’est un enfer thermique. « Apparemment, la clim est censée être en marche, et on peut aussi la régler dans certaines salles, mais en open space, il fait vraiment chaud », témoigne Monika, qui réside à Barcelone depuis quatre ans et travaille dans une grande entreprise de conseil. « Je ne sais pas si c’est à cause de certaines régulations ou autre, mais c’est limite insupportable. Et la ventilation n’a clairement pas l’air d’être bien entretenue non plus… » Elle note que le problème ne semble en être un que pour les étrangers. « Mais beaucoup de mes collègues se plaignent de se sentir mal après une journée au bureau, surtout en hiver. » Pour sa part, elle l’évite autant que possible et privilégie le télétravail.
Chaleur et guerre au bureau
Un luxe que tout le monde ne peut pas s’offrir, notamment les travailleurs du secteur de la restauration. Une employée d’une chaîne de cafés à emporter nous a ainsi confié avoir posé sa démission à cause de la fournaise à l’intérieur du local, à laquelle s’ajoute la chaleur des machines. « On sent la clim quand on est en dessous, mais là, devant la machine à café qui chauffe, c’est trop dur, je m’en vais », explique cette employée de 25 ans, originaire des pays de l’Est. « J’avais remonté le problème à la direction plein de fois, mais rien n’a été fait », déplore-t-elle.
Le compte « Soy Camarero » a ainsi dénoncé sur le réseau social X les conditions extrêmes de chaleur auxquelles sont exposés certains serveurs. Avec des captures d’écran de messages Whatsapp à l’appui. L’un des cas rapportés montre ainsi un employé interdit d’allumer la climatisation, malgré une température intérieure dépassant les 32 °C. Son supérieur le surveille à distance via les caméras de sécurité pour s’assurer qu’il n’enfreint pas cette consigne.
En otros casos directamente nos dice el “jefe” que si no hay clientes apagamos los aires, como si el personal no fuera humano. pic.twitter.com/7igD6PLqLG
— Soy Camarero (@soycamarero) June 5, 2025
Mais parfois, c’est l’extrême opposé : une clim trop forte, et des collègues qui se plaignent d’un air froid polaire tournant en boucle. Le juste milieu n’existe pas quand on vit en communauté, difficile de satisfaire tout le monde. Avec à la clé, un climat tendu (sans mauvais jeu de mots) entre collègues : l’éternel dilemme du bureau — trop chaud pour certains, glacial pour d’autres.
« Je ne sais pas ce qu’ils ont ici avec la clim, mais ils la mettent tellement fort que j’ai déjà attrapé un mal de gorge en deux semaines », se plaint ainsi Elona, 26 ans, acheteuse en marketing dans une boîte d’assurance et présente à Barcelone depuis deux ans. Elle aussi remarque une dissonance entre les locaux et les autres : « La plupart de mes collègues sont catalans ou d’Amérique latine, donc pour eux j’ai l’impression que c’est normal, ils ont presque trop chaud si la clim n’est pas assez forte… Ils la mettent à 19-20 degrés. Heureusement, le bureau est grand donc ça ne nous souffle pas dessus directement, mais j’ai toujours un pull ou une veste dans mon casier. » Se trimballer avec un pull au bureau alors qu’il fait 35 degrés dehors, c’est un nouveau niveau de surréalisme bien barcelonais…
Forte chaleur au travail : que dit la loi ?
Il y a pourtant des lois qui encadrent les limites de températures. Mais certains employeurs ferment les yeux. Ainsi, selon le syndicat Unión Sindical Obrera, près de 71 % des salariés en Espagne affirment subir le stress de la chaleur sans mesures de prévention ou adaptation des horaires, même pour des activités “intérieures”. Le syndicat espagnol affirme qu’au cours des cinq dernières années, près de 619 arrêts de travail et neuf décès ont été enregistrés suite à des accidents ou à des épisodes de chaleur extrême.
La loi 31/1995 du 8 novembre sur la prévention des risques professionnels stipule pourtant que si un travailleur estime que son travail présente un risque grave et imminent pour sa santé ou sa vie, il a le droit d’interrompre son activité et de quitter son lieu de travail. Mais si en théorie, les températures maximales sont réglementées en intérieur (17‑27 °C pour les travaux sédentaires, selon le décret royal 486/1997 du 14 avril), l’application, en pratique, reste souvent laxiste. Ainsi, seul un travailleur sur quatre estime que son employeur met en place des mesures adéquates pour le protéger de la chaleur, alors que le stress thermique est un problème « très gênant » pour 40 % des travailleurs pendant les mois d’été, selon une récente enquête de la Fundación 1º de Mayo-ISTAS.
En outre, si l’Agence météorologique nationale (Aemet) ou l’agence régionale correspondante émet un avertissement concernant des événements météorologiques de niveau orange ou rouge, y compris pour des températures extrêmes, les entreprises ont l’obligation d’activer leurs protocoles de prévention pour protéger leurs employés, selon le décret-loi royal 4/2023. Elles peuvent encourir jusqu’à près d’un million d’euros d’amende en cas de manquement à la prévention du stress thermique. Un plan de prévention solide, comprenant ventilation, pauses, hydratation, et réorganisation des horaires, est obligatoire dès lors que la chaleur devient dangereuse. Car le danger est bien réel : fatigue accrue, perte de concentration, risque d’accident voire de choc thermique. Reste que pour certains employeurs, la clim coûte visiblement plus cher qu’un salarié en surchauffe…