Leurs parents sont français mais ils ont grandi à Barcelone Comment se définir quand on vit entre deux cultures et qu’on manie aussi bien la langue de Molière que de Cervantes ? Témoignages.
« Je ne me sens pas tout à fait espagnole, ni tout à fait française ». Juliette, 15 ans, a deux parents français mais n’a toujours vécu qu’à Barcelone. Après une scolarité effectuée dans le système catalan, elle entrera l’année prochaine en section bachibac, qui prépare au bachiler espagnol et au baccalauréat français.
« Mes parents insistent pour que je pratique le français, et là ça me permet de pouvoir aller faire des études en France après ». Pour retrouver ses racines ? « J’ai juste envie de voyager », répond l’adolescente. Car pour ceux qui n’y ont passé que des vacances, même s’ils y ont leurs origines, la France est avant tout une destination un peu « exotique », explique Mélanie*, maman de deux garçons de 10 et 13 ans nés en Catalogne.
Pour elle, transmettre la culture française est apparu très tôt comme une nécessité. « Peu de temps après la naissance de notre premier enfant, nous avons discuté avec un papa français installé à Barcelone depuis plusieurs années. Ses deux enfants, nés ici aussi, étaient scolarisés dans une école locale. Il nous racontait que ses enfants parlaient mieux le catalan que le français et s’ils devaient se définir, ils se sentaient catalans avant tout« .
Une conversation qui va marquer le couple, pour qui le système scolaire devient déterminant. Les garçons débutent par l’école locale, le catalan devient leur langue de jeu, puis ils sont inscrits dans les écoles françaises. « L’école représente une grande partie du quotidien d’un enfant, ses copains, ses enseignants, ses références culturelles. Si l’enfant est plongé en immersion dans la langue et la culture locales, n’est-il pas naturel qu’il finisse par s’y identifier ? », raisonne Mélanie.
La famille ne se coupe pas pour autant de la culture catalane, les enfants participent à des activités extra-scolaires locales et se sentent très à l’aise dans leur environnement biculturel. « Mais avec deux parents français, beaucoup de copains francophones, et de nombreux séjours en France, ils n’ont jamais été totalement intégrés à la culture locale et s’ils doivent se définir, ils se considèrent à 100 % français. »
Décalages culturels
Les parents de Juliette en revanche ont choisi le système local pour leurs trois enfants, après un passage de leur ainée au Lycée français de Barcelone (LFB). « Je suis contente de ce choix, car je trouve que les gens des écoles catalanes sont plus ouverts que ceux du LFB ». A la maison, on parle un peu toutes les langues, parfois dans la même phrase, même si les parents bataillent pour faire pratiquer le français. « C’est un peu le seul endroit où on le parle ».
Mais même si (presque) toute sa vie est en espagnol, Juliette se sent malgré tout également française et reconnait un certain décalage avec ses camarades locaux. « Ils ont tous un pueblo, le village de la famille où ils vont souvent le week-end, et des fois, ils passent tout leur dimanche après-midi à table avec leurs grands-parents, c’est quelque chose que nous, on ne fait pas, parce qu’on n’a pas la famille ici, mais aussi parce qu’en France, on ne le ferait pas ».
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La jeune fille ne va pas au pueblo, mais elle passe souvent des vacances en France, où elle expérimente une autre forme de décalage : elle n’y possède aucune référence du quotidien. « Mais ma famille là-bas s’adapte bien à nous, ils comprennent qu’on est de Barcelone, alors c’est facile ». Loin d’être un obstacle ou une gêne, Juliette est fière de sa double culture, qu’elle voit avant tout comme une richesse. « J’ai de la chance que mes parents nous aient permis de vivre ça ».
Pour Mélanie comme pour de nombreuses familles expatriées, l’éducation à l’étranger pose son lot de questions et de décisions culturelles. « En tant que parents, nous devons faire des choix qui auront un impact sur leur construction identitaire. Il n’y a pas de bon ou de mauvais choix, juste celui qui correspond à notre famille, à nos valeurs, et à l’équilibre que nous cherchons à créer ». Un équilibre subtil qui enrichit toujours les plus jeunes, les dotant d’une double culture et d’une ouverture d’esprit qui les accompagneront toute leur vie.
* prénom d’emprunt