Venir vivre au soleil, à deux pas de la mer… et finir par ne jamais y tremper un orteil. À Barcelone, certains Français expatriés tournent le dos à la plage, qu’ils jugent trop bruyante, trop bondée, trop… tout.
Photos : Clémentine Laurent
Ils avaient quitté Paris, Lyon ou Genève avec une image en tête : celle d’un réveil bercé par les cris des mouettes, d’un café pris pieds nus dans le sable, d’un afterwork les cheveux salés face au W Hotel. Mais la carte postale a vite pris l’eau. À Barcelone, les plages sont pleines à craquer, les serviettes se chevauchent, la musique hurle, et il faut garder un œil sur son sac comme sur un bébé en bas âge. Résultat : une partie des Français de la ville tourne le dos à ce décor pourtant vendu comme un argument massue de l’expatriation.
Édouard, 44 ans, Sales Engineer installé à Poble-sec depuis cinq ans, en fait partie. Lui, il s’était imaginé tous les matins à la plage. « J’imaginais y être tous les jours… mais il faut laisser les équipes nettoyer le bordel », lâche-t-il, pince-sans-rire. Très vite, la réalité l’a rattrapé : le sable de la Barceloneta, il le décrit comme du « sable de chantier », les touristes omniprésents lui donnent des envies de fuite, et c’est exactement ce qu’il fait. Aujourd’hui, il saute sur son vélo ou dans un train pour s’exiler vers Llançà, Mataró ou Blanes, quand ce n’est pas Sitges hors saison. « Là-bas, au moins, les serviettes ne se touchent pas », souffle-t-il.
Même constat pour Ludivine. Elle habite Sant Gervasi, soit vingt minutes de vélo ou une heure de transports bondés pour atteindre la mer. L’équation est vite réglée : « Le temps d’y aller en fin de journée, il fait déjà nuit. Et le week-end, c’est blindé. Je préfère aller me balader que de mettre deux heures pour finir sur une plage bondée. » Sa serviette, elle la garde proprement pliée au fond d’un placard.
La plage fait de la résistance
Et puis il y a Marion, 28 ans, fraîchement débarquée de Suisse. Elle, elle vit en plein cœur du cliché : la Barceloneta. Elle travaille même au bord de la mer. Et étonnamment, elle relativise. « Oui, il y a trop de monde. Oui, il y a des touristes mal élevés. Oui, je dois surveiller mes affaires. Mais le personnel de nettoyage fait un super boulot, et ça reste assez propre. » Elle hausse les épaules : le bruit, la foule ? « Ça pourrait être pire. » Elle prévient quand même les naïfs : « Si on cherche un endroit calme pour se reposer… ce n’est pas la bonne destination ! »
Il faut dire que la plage de la ville est en général sur la « to-do » list des touristes : selon l’Observatoire du Tourisme de Barcelone, environ 56 % des touristes visitant la ville se rendent à la plage pendant leur séjour. Parmi les profils de « tourisme bleu » (centré sur l’eau et les plages), le plus fréquent est le touriste « sable ludique », qui va à la plage pour flâner, bronzer ou aller dans un chiringuito, le doux nom des bars de plage espagnols, sans forcément aller se mouiller dans l’eau . Et quand on sait que Barcelone a accueilli l’an dernier pas moins de 20 millions de touristes et pourrait en recevoir encore davantage cette année, on comprend vite pourquoi poser sa serviette sur la plage devient un vrai parcours du combattant.
Finalement, la plage à Barcelone ressemble à ce mythe qu’on raconte aux nouveaux arrivants. Un mirage doré qui se fissure sous le poids des enceintes Bluetooth qui éjectent de la techno à 11h du matin, des vendeurs de mojitos tièdes (et très peu recommandables) et des pickpockets trop zélés. Alors on s’invente d’autres rituels. On file vers des criques plus loin – quitte à se battre pour une place dans le train – on se planque dans les parcs (avec la même musique…), on s’offre une bière ou une « clara » fraîche en terrasse (urbaine) en jurant qu’un jour, promis, on ira se baigner. Pendant que les tongs achetés le jour de notre arrivée prennent la poussière…