Sous un soleil qui cogne et des plages bondées comme des parkings, Barcelone s’invente une échappée fraîche : louer un jardin privé, parfois avec piscine, le temps d’une journée. Un luxe « simple » qui a son prix.
(Crédit : Swimmy)
Le bitume brûle, la Méditerranée étouffe et les serviettes s’entassent sur le sable comme des couches de sédiments humains. Au cœur de l’été, Barcelone se vit en pleine surchauffe : impossible de poser un pied à la plage sans heurter un speaker Bluetooth, un ballon ou une marée de touristes. Alors, les locaux inventent une échappatoire : fuir le tumulte et s’acheter quelques heures d’ombre et d’azur. Louer un jardin privé – parfois avec piscine, parfois juste une pelouse et un barbecue – devient le nouveau luxe abordable. Une parenthèse hors du monde, réservée en deux clics sur une appli, où l’on s’offre un moment de calme entre amis, loin des vagues… mais au prix fort.
Le principe ? Des propriétaires mettent leur jardin ou piscine à disposition, à l’heure ou à la journée, via une appli. Les locataires, eux, réservent comme ils réserveraient un brunch ou un spa. Prix moyen : 20 à 30 euros par personne pour 6 à 7 heures, parfois davantage si le lieu inclut barbecue, douche extérieure ou équipements premium.
Pionnière sur le créneau spécialisé des jardins avec piscine, Cocopool s’est imposée comme l’« Airbnb de l’eau » en Espagne. Les propriétaires mettent leurs espaces en ligne et les particuliers réservent par tranche horaire. Une tendance en plein boom : +219 % de réservations en juin par rapport à l’an passé, plus de 200 piscines déjà disponibles autour de Barcelone, et une expansion vers Madrid, Valence et Séville.
Les revenus suivent : certains hôtes engrangent 6 000 € par été, un coup de pouce bienvenu face au coût d’entretien des piscines. D’autres plateformes tentent aussi leur chance : la française Swimmy, installée en Espagne depuis 2020, ou HolaPlace, qui loue aussi des jardins pour événements privés.
La quête d’un luxe simple
Yasmin, une jeune Lyonnaise qui a testé l’expérience à Castelldefels, en garde un souvenir ravi : « C’était fabuleux ! On avait loué un jardin avec espace barbecue pour 15 personnes. Entre la location et la nourriture, on a payé environ 40 € chacun… bien mieux qu’une piscine publique bondée. »
Pour Laura, 35 ans, directrice commerciale installée à Barcelone depuis six ans, la perspective est séduisante… mais pas sans conditions. « J’ai une belle piscine près de Gérone, mais l’idée de laisser des inconnus se baigner chez moi me rebute. Je ne trouve pas ça très hygiénique », confie la Française. « S’ils devaient absolument se doucher avant d’entrer dans l’eau et qu’on pouvait fixer un prix correct, pourquoi pas. Mais je demanderais au moins 150 euros pour trois heures, plus 20 euros par personne. Et seulement via une appli qui vérifie les profils, comme Airbnb ou Blablacar. »
Sur les forums et groupes Facebook que nous avons sondés, d’autres évoquent encore la commission élevée que prélèvent les plateformes auprès des propriétaires – jusqu’à 30 %, nous glisse-t-on – et la nécessité de fixer des règles strictes : douche obligatoire avant baignade, dépôt de garantie, musique limitée… Certains saluent tout de même que « l’agence fait tout le boulot, nous, on fournit juste l’espace », comme le relève Alice*, qui loue déjà son studio via ces applis.
Les plateformes de location de jardins privés peuvent être une bonne alternative aux plages bondées de Barcelone. (Crédit : Clémentine Laurent)
Anniversaires, baby showers et team buildings
Anton, 26 ans, product designer arrivé à Barcelone en décembre dernier, se verrait en tout cas bien profiter de ce type d’endroit. « Pour 20 ou 30 euros par tête, si le propriétaire met tout à dispo, ça vaut le coup : se baigner, faire un asado (un grand barbecue de viande), juste kiffer », explique-t-il. « Ce qui me plaît, c’est qu’on découvre aussi les maisons des hôtes. C’est plus vivant que les Airbnb classiques, où tout est impersonnel et sans âme. » Cette nouvelle économie ne séduit donc pas seulement pour l’eau : c’est la convivialité et l’authenticité qui attirent une clientèle en quête d’expériences plus personnelles que les plages bondées. Mais la question du prix reste centrale. « À 20 euros, ça passe. Je dirais que c’est cher sauf si les propriétaires mettent tout à disposition, là je me régale. Puis, c’est autant que de payer un brunch électro, sauf que tu apprécies différemment », souligne le jeune Français.
La clientèle de ce type de plateformes a entre 25 et 55 ans, souvent des familles ou groupes d’amis, selon Cocopool. Les usages les plus fréquents sont les anniversaires, barbecues, baby showers ou gender reveals. Mais les entreprises s’y mettent aussi : journées de cohésion d’équipe, afterworks ou séminaires intimistes. Un créneau que Cocopool entend développer dans les prochains mois.
Si le phénomène reste pour le moment saisonnier, il révèle surtout un changement d’habitudes : la quête d’espaces privés et sur-mesure dans une ville où l’été et le surtourisme rend les lieux publics impraticables. En périphérie – Sant Cugat, Maresme, Vallès –, ces jardins deviennent de petits refuges pour souffler… sans quitter Barcelone. À condition d’y mettre le prix.
*nom d’emprunt, la personne a voulu rester anonyme