Sagrada Família : le quartier de Barcelone qui n’en est plus un

Autour de la Sagrada Família, la vie de quartier a laissé place à une vie touristique toujours plus imposante, dont le signe premier est la disparition des commerces de proximité au profit de boutiques de souvenirs.

Photos : Anaelle Petot

À quoi ressemble la vie de quartier autour d’un monument aussi populaire que la Sagrada Família ? Spoiler : elle a presque disparu. Chaque année, jusqu’à 22 millions de visiteurs foulent les rues du secteur, mais à peine 4,8 millions franchissent les portes du temple. Le reste se contente de tourner autour, appareil photo en bandoulière, entre deux tapas facturées au prix fort. Bars, restaurants… et surtout boutiques de souvenirs forment l’essentiel du paysage commercial.

Malgré les restrictions de la mairie, ces échoppes prolifèrent. Plus de 70 % des commerces ciblent le touriste de passage. Selon La Vanguardia, dans les rues voisines, on compte 41 magasins de babioles pour une seule poissonnerie, reléguée rue Rosselló, à quelques pâtés de maisons. La diversité commerciale a été avalée par la logique du profit rapide.

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Sur le papier, tout semble pourtant sous contrôle : depuis des années, la municipalité bloque l’octroi de nouvelles licences pour ce type de commerce. Une règle impose même que, sans autorisation spéciale, les souvenirs ne dépassent pas 20 % de la surface de vente. Mais cette réglementation tient davantage de la déclaration d’intention que de la loi gravée dans le marbre. La définition même de « souvenir » varie d’un inspecteur à l’autre. Et les commerçants, jamais à court d’imagination, contournent la règle. Il suffit d’ôter le mot « Barcelone » d’un mug ou d’un tee-shirt pour que l’article échappe à la catégorie.

Pendant ce temps, le tourisme de masse reste une poule aux œufs d’or. Les chiffres donnent le tournis : les poubelles du quartier sont vidées huit fois par jour, soit six de plus que dans le reste de la ville. Et pourtant, elles débordent encore. Les trottoirs, eux, se transforment en tapis roulants pour groupes de cinquante personnes qui avancent au pas du guide, l’oreillette vissée à l’oreille. Les autocars stationnent moteur allumé, déversant leur cargaison de voyageurs, laissant derrière eux un brouillard de gaz d’échappement.

Quelle solution ?

Les associations de quartier ne cachent pas leur exaspération. Elles dénoncent l’absence de régulation réelle des flux, le bruit constant, la pollution, et l’impression que le quartier appartient désormais aux visiteurs plutôt qu’à ceux qui y vivent. La mairie envisage la création d’une application pour « mieux répartir » les flux touristiques, mais personne ne se fait d’illusions sur l’impact d’une telle mesure. Certains riverains proposent un parking souterrain pour autocars à proximité du temple, mais l’idée est jugée irréalisable tant que les travaux titanesques de la basilique se poursuivent.

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Fin 2024, le maire Jaume Collboni a présenté un plan spécial pour la zone avec 37 mesures à déployer sur trois ans, pour un budget de 15,4 millions d’euros. Les objectifs affichés : diversifier le commerce, réduire l’impact touristique et redonner des espaces aux habitants. Sur le papier, l’ambition est claire mais sur le terrain, le scepticisme domine et beaucoup craignent que le plan ne se traduise que par quelques aménagements cosmétiques.

En attendant, la lente érosion du quartier se poursuit. Les commerces de proximité disparaissent les uns après les autres. En juillet, le plus vieux salon de coiffure du secteur a tiré le rideau après plus de quarante ans d’activité, incapable de résister à la hausse des loyers et à la baisse de la clientèle locale. Les habitants, eux, s’habituent à vivre dans ce qui ressemble de plus en plus à un décor de carte postale, pour le meilleur mais surtout pour le pire.

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