Avec les incendies en Espagne, chaque hectare brûlé est une ligne de budget qui s’allume : les forêts partent en fumée dans des incendies qui resteront dans les annales, les milliards aussi.
Les flammes dévorent l’ouest et le centre de l’Espagne. Galicia, Extremadura, Castilla y León : les images de villages évacués et de collines calcinées s’accumulent, pendant que la fumée recouvre le ciel et bloque même les trains à grande vitesse entre Madrid et la Galice. Au total, plus de 1.680 km² de forêt sont partis en fumée depuis janvier, selon la carte Google Maps des incendies en cours, soit l’équivalent d’un département français. 21 incendies majeurs restent actifs, plus de 33.750 personnes ont dû être déplacées et quatre morts sont déjà à déplorer, selon le Comité étatique de coordination (Cecod).
Un désastre humain et écologique, mais aussi économique. Car à l’heure où les budgets publics sont sous tension, l’Espagne découvre une équation cruelle : éteindre les incendies coûte presque dix fois plus cher que de les prévenir.
Voyez plutôt : d’après les données du programme européen Copernicus, 350.000 hectares ont brûlé cette année dans le pays. À 19.000 euros l’hectare en moyenne pour éteindre les flammes, la facture atteint 6,65 milliards d’euros. Un chiffre vertigineux si on le compare au coût estimé de la prévention : 2.000 euros par hectare. Autrement dit, 700 millions auraient suffi pour limiter les dégâts, soit un dixième de la note finale.
#EMSR837 – Wildfires in NW Spain
Our latest map shows:
9,435 ha burnt
47 active flames, 11 km fire fronts
~30 people & 41.7 km of roads affected in Portilla de la Reina️ #RapidMapping supports civil protection with updated fire extent:https://t.co/tJ4Fh9u9r6 pic.twitter.com/hiabPjPBug
— Copernicus EMS (@CopernicusEMS) August 19, 2025
La comparaison est implacable : chaque euro dépensé en prévention en aurait évité cent en extinction et en réparation. Pourtant, année après année, l’Espagne réduit la voilure sur ce poste budgétaire. Selon Eurostat, le pays consacre ainsi 0,4% de sa dépense publique à la prévention des incendies, contre 0,5% en moyenne dans l’Union européenne.
Dit autrement : un pays qui détient la plus vaste surface forestière du sud de l’Europe, et l’une des plus vulnérables au changement climatique, dépense proportionnellement moins que l’Allemagne (0,6%) – dont les forêts couvrent une superficie inférieure de 40% et sont bien moins exposées. Pourtant, c’est bien l’Espagne qui, en 2022, a payé le plus lourd tribut aux incendies : 306.555 hectares détruits, loin devant la Roumanie et le Portugal.
Moins d’avions, moins de moyens
Ce déséquilibre s’explique aussi par une tendance de long terme. Depuis 2009, les budgets nationaux de prévention ont été divisés par deux. Cette année-là, l’État consacrait 364 millions d’euros à la prévention des incendies. En 2022, ce chiffre est tombé à 175 millions.
Même constat sur les autres lignes liées à la gestion forestière : la reforestation, la lutte contre les parasites ou la gestion de la biodiversité ont perdu 26% de leur budget en treize ans. Un choix qui fragilise durablement les écosystèmes et rend les forêts plus inflammables.
Les flammes de l’été – bien parti pour être le pire de l’Espagne – mettent aussi en lumière des choix politiques contestés. En 2025, le gouvernement a réduit de 11 millions le contrat pour les avions anti-incendies afin de financer l’aide au Maroc après le séisme. Résultat : 42 appareils seulement ont été affrétés, contre 47 habituellement. Or, si l’on remonte quelques années en arrière, la perte est encore plus frappante. Aux 47 avions sous contrat s’ajoutaient autrefois les appareils de l’État, pour un total de près de 70. Aujourd’hui, la flotte disponible est réduite de 13 avions.
(Crédit photo : Pixabay)
Et ce n’est pas faute d’argent gelé ailleurs : le fameux Fonds de contingence, doté de 3,9 milliards d’euros pour répondre aux catastrophes, reste en grande partie inutilisable faute de budgets votés. À fin juin, 1,5 milliard dormait encore dans les caisses… impossible, juridiquement, à allouer aux avions ou aux pompiers.
Sans compter que les incendies ne sont pas seulement un drame écologique ou humain : ils grèvent la croissance. Aux coûts directs de l’extinction s’ajoutent la destruction d’exploitations agricoles, la paralysie de transports stratégiques comme l’AVE Madrid-Galice, et l’effondrement de la valeur foncière dans les zones rurales les plus touchées. Emilio Vizuete, professeur en sciences de l’entreprise à l’Université de Barcelone, assure que « les effets sont dévastateurs pour la situation économique d’une population. À court terme, l’activité économique s’arrête ».
Selon plusieurs économistes, ces pertes cumulées se chiffrent en points de PIB pour les régions rurales déjà fragiles. La Galice, l’Estrémadure ou la Castille y León voient s’envoler en fumée non seulement leurs forêts, mais aussi leurs perspectives de développement touristique et agricole. Et tant que la prévention restera la variable d’ajustement, les flammes continueront d’avoir le dernier mot.
Arde Extremadura: el incendio en Jarilla (Cáceres) está « totalmente descontrolado » y obliga a evacuar la localidad de Gargantilla y confinar Hervás https://t.co/j76VCvXl19 #Directo pic.twitter.com/CFZfHvsvxA
— Europa Press (@europapress) August 17, 2025