Du soleil, de la mer et désormais des prix millionnaires : l’immobilier de luxe espagnol connaît une accélération fulgurante, dopée par la clientèle étrangère et l’après-Covid.
Villas à plusieurs millions, appartements de prestige, résidences ultra-rares qui font rêver : en Espagne, la demande explose pour l’immobilier de luxe, mais seules certaines régions profitent des logements les plus convoités du pays. Au 1er août, le pays comptait ainsi 43 707 logements de luxe affichés à plus d’un million d’euros, selon Idealista. Mais 84 % de cette offre se concentre dans seulement six provinces : Baléares, Malaga, Madrid, Alicante, Barcelone et Gérone. Les Baléares représentent à elles seules 23 % du total national, suivies de Malaga (20 %) et Madrid (14 %). Barcelone, avec 11 % de l’offre, se hisse au même niveau qu’Alicante.
Le segment de l’ultraluxe – les biens de plus de 3 millions d’euros – reste encore plus exclusif. Sur les 8 725 propriétés recensées en Espagne, près des deux tiers se trouvent aux Baléares et à Malaga. Barcelone en compte 535, soit seulement 6 % du total, bien loin des standards observés à Dubaï, Londres ou Paris.
Une demande qui s’accélère depuis l’après-Covid
La demande pour l’immobilier de luxe en Espagne n’est pas nouvelle. Des destinations comme Ibiza, Marbella ou la Costa Brava sont connues depuis longtemps. Installé dans la capitale catalane depuis deux ans, Alexandre Delacharlerie, 30 ans, connaît bien ce marché. Après un an chez Barnes, il a rejoint Sotheby’s en juillet 2024. Son bureau couvre Barcelone intra-muros, principalement l’Eixample et la Zona Alta.
Selon lui, cette dynamique se retrouve dans l’explosion du nombre de biens haut de gamme mis en vente : à l’échelle nationale, les logements de plus de 800 000 euros ont bondi de près de 150 % entre 2019 et 2024. « Ce qui est nouveau, c’est l’accélération de cette demande, surtout à Barcelone depuis l’après-Covid, observe-t-il. Les gens se sont rendu compte qu’ils pouvaient travailler différemment, à distance, et s’installer en Espagne tout en conservant leur activité ailleurs. »
En outre, à Barcelone, « les prix de publication flambent car les vendeurs ont compris qu’il y avait une forte demande étrangère. En revanche, les prix de transaction restent raisonnables, avec une hausse annuelle de 5 à 10 %. » Les conditions d’achat limitent d’ailleurs les excès : 30 % d’apport exigé pour les étrangers, 20 % pour les locaux. « Le profil type de nos acheteurs est celui de clients disposant de liquidités importantes, ce qui réduit les risques de surchauffe. »
90 % d’acheteurs étrangers pour l’immobilier de luxe
Quel est donc le profil de ces acheteurs au pouvoir d’achat exorbitant ? « Environ 90 % de nos transactions concernent des étrangers, confie Alexandre Delacharlerie. Chez Sotheby’s, les Américains dominent, car la marque est très implantée aux États-Unis. » Viennent ensuite Britanniques, Australiens, Néo-Zélandais, puis Européens de l’Ouest, notamment Français et Allemands.
La clientèle locale existe aussi : certaines familles catalanes aisées achètent des résidences principales, notamment à Bonanova ou Tres Torres. « Dans ces zones, il n’est pas rare que le vendeur et l’acheteur soient catalans. » Le marché se partage ainsi entre résidences secondaires et installations à long terme. De nombreux Américains ou Européens achètent un pied-à-terre dans l’Eixample ou la vieille ville pour quelques semaines par an. Sur la Costa Brava, Begur ou Calella de Palafrugell séduisent les amateurs de résidences de vacances.
L’investissement pur pour l’immobilier de luxe, lui, s’essouffle toutefois. « La Catalogne a multiplié les mesures dissuasives, comme l’augmentation de l’ITP ou la réglementation sur les locations longue durée. À Madrid, la fiscalité est beaucoup plus attractive : 6 % d’ITP contre 11 à 12 % en Catalogne », souligne l’agent immobilier. Résultat : beaucoup de biens conçus pour la location reviennent sur le marché barcelonais, tandis que les investisseurs latino-américains – Mexicains et Argentins notamment – préfèrent Madrid. À noter que la capitale espagnole a dépassé Paris pour la première fois pour s’imposer comme la deuxième destination d’investissement immobilier la plus attractive en Europe, derrière Londres, selon PwC et l’Urban Land Institute.
Vers une bulle de l’immobilier de luxe ?
Si la demande en biens de luxe progresse, celle pour l’ultra-luxe reste bridée par une offre insuffisante, avec seulement 535 biens de plus de 3 millions d’euros recensés à Barcelone selon Idealista. « Nos acheteurs ont l’habitude de biens exceptionnels, avec des matériaux et finitions de très haute qualité. Mais l’offre est rare ici. Nos clients investissent entre 1 et 3 millions. Ce sont des personnes aisées, mais pas multimillionnaires, qui cherchent avant tout un placement sûr. » Il est toutefois convaincu que cette demande pour l’ultra-luxe va continuer de croître. « De plus en plus de clients veulent combiner vie familiale, professionnelle et loisirs. Barcelone a tous les atouts, mais il manque encore des biens à la hauteur de leurs attentes », estime l’agent de Sotheby’s.
Cette accélération de l’immobilier de luxe doit-elle nous faire craindre la formation d’une bulle en Espagne, rappelant au pays ses vieux démons ? Les prix des logements avaient doublé en une décennie, portés par une explosion du crédit bancaire et par une spéculation massive, avant d’éclater en 2008, avec un effondrement des prix de 30 à 40% en moyenne (jusqu’à 60% dans certaines zones). Notre expert se veut toutefois rassurant. « Certes, les prix affichés augmentent rapidement, mais les prix de transaction suivent plus modérément. Ces acheteurs de biens de luxe sont généralement très bien éduqués financièrement et refusent de surpayer. Et puis, comme ils ont les moyens, ils peuvent se permettre de louer un bien assez cher pour prendre le temps de trouver le logement qu’ils veulent acheter. Souvent, ceux qui s’installent commencent par louer un an dans le centre-ville, puis achètent dans la Zona Alta, proche des écoles internationales, un atout majeur de Barcelone. »
Les banques contribuent aussi à calmer le jeu : « Elles sont beaucoup plus strictes qu’avant sur les évaluations. Les acheteurs, eux, se souviennent de 2008 et ne veulent pas retomber dans le même piège », conclut-il.