À mesure que les années d’expatriation s’accumulent, les repères identitaires des Français vivant à l’étranger se redéfinissent. Entre attachement aux racines et intégration culturelle, beaucoup ne se sentent plus tout à fait Français… ni complètement étrangers. Témoignages.
Barcelone, Londres, New York : au fil des pays d’expatriation, les racines bougent, s’étendent et se réinventent. Pour les Français installés à l’étranger pendant plusieurs années, l’identité nationale ne se fige pas dans les valises. Elle migre, évolue et parfois, se dissout partiellement dans un puzzle de cultures adoptées. À l’image de Marie Franz, 55 ans, installée depuis dix ans à Barcelone après deux décennies passées entre Londres et New York, de nombreux expatriés affirment ne plus se sentir tout à fait Français… sans pour autant renier leurs origines. « Je ne me sens plus vraiment française après 30 ans d’expatriation. Lorsque je rentre en France, on me prend pour une étrangère », confie Marie, 55 ans, installée aujourd’hui sur les hauteurs de Sarrià. Son accent, sa plaque d’immatriculation espagnole, sa façon de s’habiller : autant de détails qui la trahissent auprès de ses propres compatriotes.
Une transplantation culturelle
Sandrine Gelin-Lamrani, coach professionnelle internationale et experte de la mobilité, emploie une image saisissante pour évoquer le processus : « l’expatriation, c’est comme une transplantation. Les expatriés prennent leurs racines avec eux et les replantent dans un nouvel environnement. » Ces racines se mêlent alors à celles du pays d’accueil, donnant naissance à un enchevêtrement identitaire singulier : ni tout à fait français, ni totalement local.
Sandrine Gelin-Lamrani, coach professionnelle internationale et experte de la mobilité
Ce métissage quotidien nourrit une nouvelle manière d’être au monde. À Barcelone, où vit une importante communauté française, les repères hexagonaux se mêlent à la culture catalane. On célèbre le 14 juillet et la fête nationale espagnole. Les enfants apprennent à jongler entre plusieurs langues, intègrent les codes sociaux des pays traversés, construisent leur vie à partir de morceaux épars. On parle alors de “troisième culture”. Le concept de “third culture kids” désigne les enfants ayant grandi dans un pays différent de celui de leurs parents. Ils développent une identité hybride, composée de plusieurs référents culturels.« Ces enfants ne sont donc plus simplement des Français vivant ailleurs », souligne Sandrine Gelin-Lamrani. « Ce sont des individus qui développent une culture différente de leur pays d’origine, mais aussi de leur pays d’accueil. »
Ni ici, ni tout à fait là-bas
Cette transformation n’est pas qu’une affaire de géographie. Elle touche au plus profond : les manières de penser, les réflexes sociaux et les aspirations. Claire, expatriée depuis vingt ans, explique : « on pense être toujours Français… jusqu’à ce qu’on retourne en France. Là, on cherche ses mots, on ne connaît plus les artistes du moment, les références culturelles sont datées », admet-elle.
C’est dans cette dissonance que beaucoup prennent conscience de leur évolution. Le sentiment d’appartenance se déplace et devient la somme d’un assemblage d’une myriade de repères culturels. Comme le souligne la Parisienne d’origine Marie : « Mes enfants sont de partout et de nulle part. Ils parlent trois langues couramment, se sentent chez eux partout dans le monde. »
La tribu d’origine comme refuge identitaire
Pour autant, l’expatrié ne coupe pas définitivement ses liens avec la France. Au contraire. Le premier réflexe souvent observé à l’étranger est celui du regroupement communautaire. « Retrouver ses compatriotes, c’est recréer un chez-soi, c’est un réflexe humain, presque tribal », analyse Sandrine Gelin-Lamrani. La France, avec son vaste réseau d’institutions à l’étranger (écoles, consulats, Alliances françaises…), offre un cadre propice à ces retrouvailles.
Mais ces communautés ne sont pas des repaires identitaires. Elles servent plutôt de points d’ancrage temporaires. Car si les Français de l’étranger aiment cuisiner à la Française, célébrer leur fête nationale, ou débattre des élections présidentielles, ils n’en sont pas moins avides d’intégration. « J’adore la culture barcelonaise », s’enthousiasme Marie. « Les tapas improvisées, les couchers de soleil à la plage, les soirées en terrasse… »
Vers une nouvelle forme d’identité française ?
Avec plus de 2,5 millions de Français établis hors de France selon les chiffres officiels, peut-on parler d’une nouvelle identité française, plus cosmopolite, plus poreuse ? Sandrine Gelin-Lamrani préfère parler de “réalité différente”, plutôt que d’extension de l’identité nationale. « Ce serait réducteur de penser en termes d’identité française enrichie. Ce que vivent les expatriés de longue durée, c’est une transformation complète, une hybridation. »
Cette hybridation, si elle questionne la définition même de ce que signifie “être Français”, n’est pas synonyme de rupture. Elle témoigne d’une mobilité mentale et culturelle, d’une capacité d’adaptation qui devient presque une seconde nature. Finalement, peut-être faut-il, comme Marie, accepter de vivre avec toutes les cultures rencontrées, et d’en faire “une culture propre à sa vie”. Une culture qui ne porte pas un seul drapeau, mais qui s’épanouit au croisement des divers pays.