TGV Madrid-Barcelone : la Renfe supprime son offre low-cost

Exit le low-cost : la Renfe retire son train AVLO de la liaison Madrid-Barcelone et recentre son offre sur l’AVE. Une décision risquée, qui interroge sur la rentabilité du modèle. 

C’est un virage stratégique, sans mauvais jeux de mots, qui secoue le secteur ferroviaire espagnol. Jeudi dernier, la compagnie nationale Renfe a annoncé la suppression pure et simple de son service AVLO, ses trains à grande vitesse low-cost, sur la liaison la plus fréquentée du pays, Madrid-Barcelone. À compter du 8 septembre, tous les trajets seront opérés exclusivement par l’AVE, la marque premium de l’opérateur public. Officiellement, la compagnie promet de maintenir les fréquences et d’offrir des “prix compétitifs”. Mais cette disparition laisse planer de lourdes interrogations sur la stratégie de la Renfe face à la concurrence d’Ouigo (SNCF) et d’Iryo (Trenitalia)… Et sur la viabilité des trains low-cost espagnols.

Une réorientation stratégique… un boulevard pour la concurrence

La justification première est technique. Fin juillet, une fissure sur un bogie (le chariot qui se trouve sous chaque wagon) a été détectée sur une rame Talgo Avril, le modèle flambant neuf utilisé par AVLO. Par précaution, la Renfe a retiré l’ensemble des cinq trains engagés sur Madrid-Barcelone. L’opérateur évoque donc un problème de sécurité, mais ajoute que l’AVE “s’adapte mieux aux caractéristiques du trajet et au profil du voyageur d’affaires, fréquent sur ce corridor”. Avec l’AVE, les passagers retrouveront ainsi des sièges plus larges, des voitures silencieuses et une restauration à bord, disparus avec l’offre low-cost.

Pour Alberto de la Torre, analyste spécialisé transport chez Xataka Movilidad, cette issue était écrite d’avance : « C’est la chronique d’une mort annoncée. La Renfe n’a pas su pérenniser son modèle low-cost, miné par des obstacles techniques et commerciaux. » Selon lui, en renonçant à Avlo, l’opérateur « abandonne le terrain des prix bas à ses rivaux Ouigo et Iryo ».

La Renfe assure de son côté vouloir maintenir des billets attractifs sur l’AVE, mais la promesse suscite le scepticisme. En 2024, un trajet Madrid-Barcelone coûtait en moyenne 37,8 € en AVLO, contre 61,9 € en AVE selon la CNMC, le régulateur espagnol. « Il est difficile d’imaginer que la Renfe maintienne des tarifs aussi bas sur l’AVE sans rogner sur ses marges », avertit Alberto de la Torre.

Cette décision risque donc de frapper de plein fouet les voyageurs les plus sensibles au prix – étudiants, familles, touristes – qui constituaient une bonne part de la clientèle d’AVLO. La suppression de cette alternative pourrait les pousser vers Ouigo ou Iryo, qui proposent régulièrement des billets à partir de 9 €. Ils s’en frottent les mains : les opérateurs privés ont déjà annoncé vouloir profiter de la rentrée pour multiplier les promotions et capter ces voyageurs laissés orphelins du low-cost public.

D’autant que ses concurrents progressent vite. En 2024, la Renfe détenait encore 60 % du marché sur Madrid-Barcelone, grâce à la combinaison AVE (47,9 % des passagers) et AVLO (12,2 %). Mais, depuis, Iryo a conquis 23,7 % et Ouigo 16,2 %. La suppression d’Avlo risque donc de rebattre les cartes : la Renfe va monopoliser la ligne avec l’AVE, mais avec une offre moins compétitive face à Iryo et Ouigo. Dans les coulisses, des sources du secteur citées par El Confidencial évoquent même « de grosses pertes pour la Renfe », les trains Avlo affichant systématiquement complet sur ce corridor stratégique.

Talgo dans la tourmente, la fin du low-cost espagnol ?

Au-delà de la Renfe, c’est aussi le constructeur espagnol Talgo qui se retrouve fragilisé. Ses rames Avril, livrées il y a un an à peine, devaient incarner l’avenir du low-cost ferroviaire espagnol. Au lieu de cela, elles enchaînent les déconvenues : fissures structurelles, vibrations, pannes électriques. L’affaire tombe au plus mal pour l’entreprise, déjà engagée dans un plan de sauvetage financier avec l’État. L’Agence de sécurité ferroviaire et le ministère des Transports ont ouvert une enquête, mais aucune date de remise en service des Avril n’a été communiquée. Certaines rames pourraient rester immobilisées “pour une durée indéterminée”.

De quoi enterrer pour de bon le low-cost espagnol ? L’économiste José Miro n’irait pas aussi vite en besogne : selon lui, la dynamique nationale des trains à prix réduits va se poursuivre. « Nous traversons une étape de transition, c’est certain. Toute cette évolution découle de la mise en concurrence : à l’origine, il n’y avait que l’AVE, mais à un prix très élevé. Au moment où la libéralisation s’est enclenchée, la Renfe a lancé une offre plus accessible, et des opérateurs étrangers comme des entreprises italiennes et françaises sont arrivés sur le marché. Tout cela a contribué à faire baisser les prix, et je pense que cette tendance va continuer. Il y aura sans doute une phase d’équilibre à trouver, mais la concurrence devrait perdurer », nous explique-t-il.

Il se base sur l’historique de Telefónica pour son argumentaire : « Lorsqu’il a été confronté à la concurrence d’Orange et d’autres acteurs, les prix ont énormément baissé. Cela montre bien qu’il y avait de la marge : sans concurrence, les tarifs étaient fixés comme bon leur semblait. Au final, cela a fonctionné, même si Telefónica-Movistar reste propriétaire du réseau. Les autres opérateurs l’utilisent aussi, et cela a permis de tirer les prix vers le bas. »

À en croire l’économiste, nous pourrions même voir un autre opérateur ferroviaire émerger, à terme. « À chaque fois qu’un secteur est ouvert à la concurrence, on aboutit au même résultat. Je crois donc que nous ne sommes qu’au milieu d’un processus et que la concurrence va continuer à s’affirmer », estime-t-il.

Pour l’heure, reste à voir si la promesse de la Renfe – maintenir des prix “compétitifs” sur l’AVE – suffira à éviter une fuite massive de clients. L’entreprise mise sur le retour de services à bord et sur le prestige de l’AVE pour fidéliser sa clientèle. Mais pour les analystes, la vraie bataille se joue sur les prix, alors que la guerre tarifaire bat son plein depuis l’ouverture du marché. La Renfe risque bien de rester à quai pour ce trajet-là…

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