Il a plongé dans l’esprit des tueurs pour percer leurs mécanismes. Dans les années 1970, John E. Douglas, agent du FBI, a eu l’intuition glaçante que pour arrêter un tueur en série, il fallait penser comme lui. Cette méthode a bouleversé les enquêtes criminelles à travers le monde, jusqu’en Espagne, où la police catalane s’en inspire aujourd’hui pour résoudre les crimes les plus violents. Un virage révolutionnaire dans le monde criminel.
Dans un bureau discret à Barcelone, un groupe d’enquêteurs des Mossos d’Esquadra exerce un travail assez curieux : dresser le profil psychologique des auteurs d’homicides, de viols ou diiférents actes barbares. Ces policiers et psychologues, surnommés en interne les Mindhunters catalans, analysent les scènes de crime, les rapports d’autopsie et étudient les témoignages. Leur objectif est de comprendre le langage du tueur et anticiper sa prochaine action.
Mais cette méthode d’investigation n’est pas née en Espagne. Elle a vu le jour dans les années 1970, de l’autre côté de l’Atlantique. À cette époque, les États-Unis font face à une recrudescence de meurtres. Des tueurs agissent sans mobile apparent et surtout, méthodiquement. Le FBI (Federal Bureau of Investigation) peine à les arrêter. Aucune base de données, aucun protocole psychologique, le terme de « tueur en série » n’existe pas encore. Les enquêteurs sont souvent démunis face à ces crimes barbares, sans logique ni piste solide.
John Edward Douglas, jeune recrue du FBI, propose une approche totalement inédite. Perdre du temps à traquer à l’aveugle ? Non. Lui, veut comprendre ce qu’il se passe dans la tête de ces monstres. Pour cela, il va interroger les assassins déjà derrière les barreaux. L’objectif est de décoder leur comportement, pénétrer leur esprit, identifier les points communs afin d’identifier ceux qui courent encore dans les rues.
John Douglas – 12 février 1991
Avec son collègue Robert Ressler et la psychiatre Ann Burgess, il fonde l’unité des sciences comportementales du FBI. Ensemble, ils visitent les prisons du pays, en particulier celles de haute sécurité, qui accueillent les pires criminels : Edmund Kemper, Charles Manson, Richard Speck tous connus pour des séries de meurtre. C’est là, que va alors naître le terme de « tueur en série ».
Pendant des heures, Douglas les écoute, note, analyse. Ce que ces hommes racontent est terrifiant. mais ce travail acharné finit par porter ses fruits. Petit à petit, un fil rouge se dégage. Enfance brisée, besoin de contrôle, pulsions ritualisées, défaillances psychologiques voire psychiatriques non identifiées. Un profil criminel type commence à se dessiner.
Photo BBC – John Douglas et le tueur en série Ed Kamper en 1970
Grâce à ces profils, les enquêteurs disposent enfin d’outils pour anticiper, comparer, et traquer plus efficacement. Ce travail pionnier va permettre d’élucider des dizaines d’affaires, dont celle du tueur d’Atlanta en 1981, accusé d’avoir tué 28 enfants et adolescents afro-américains.
Plusieurs affaires résolues en Catalogne
Aujourd’hui en Catalogne, cette méthode s’incarne à travers le travail du Groupe d’Analyse de Conduite Criminelle (GACC) des Mossos d’Esquadra. Le premier analyste du comportement espagnol, Xavier Álvarez, souligne que « historiquement, la police se préoccupait du quoi, comment, quand, qui et où, mais elle laissait de côté le pourquoi » .
Des affaires emblématiques comme celle des « Rider Power Girls » où cinq femmes ont été agressées par un livreur à domicile sur le pas de leur porte à Barcelone pendant la pandémie, ont permis, dès la deuxième plainte, de distinguer un seul et même agresseur grâce à sa manière d’approcher la victime. Le rapport d’un analyste de conduite a été admis comme preuve judiciaire, une première en Catalogne.
Autre cas dans l’affaire Igualda en 2021, une mineure violée et grièvement blessée dans une zone industrielle. L’analyse menée par Álvarez a aussi joué un rôle très important et a ainsi permis de dresser le profil de Brian Raimundo : un individu au profil « homicide » et à fort risque de récidive. Le tribunal s’est appuyé sur ce rapport pour alourdir la peine, retenant une discrimination sexuelle fondée sur un schéma de violence reproduit envers les femmes. Une révolution lente mais certaine dans le monde de la police-justice catalane.