L’Espagne en route vers le plein emploi ?

salon de l'emploi francophone à Barcelone

Alors que l’Espagne reste la championne du chômage en Europe, certaines régions du pays affichent désormais des taux d’emploi inédits.

De 25,7 % en 2013, au plus fort de la crise financière, à 10,3 % au deuxième trimestre 2025 : le chômage en Espagne connaît une décrue spectaculaire. Le pays, qui reste pourtant celui qui compte le plus de chômeurs de l’Union européenne, voit aujourd’hui certaines de ses provinces frôler le « plein emploi », un scénario qui semblait encore utopique il y a quelques années.

Lors de la première vague de la pandémie, l’Espagne enregistrait ainsi près de 4 millions de chômeurs. Ils sont désormais moins de 2,5 millions, selon les chiffres de l’Institut national de statistique, également compilés en graphiques par EpData. La moyenne nationale, à 10,3 %, reste élevée par rapport à la zone euro (5,9 %), mais avec une forte disparité territoriale : dans sept provinces, le taux de chômage est inférieur à 7 %, et dans 19 autres, il est sous la barre des 8 %, un seuil que le pays n’avait pas atteint depuis les années 1970.

« Selon la structure économique espagnole, notre chômage minimum incompressible se situe autour de 7 à 8 % », explique à El Periodico Juan Crespo, professeur à l’EAE Business School. « En dessous, il ne s’agit plus vraiment de chômage, mais de transitions entre deux emplois ».

La « petite Allemagne » ?

Symbole de ce changement : Lleida, où le chômage est tombé à des niveaux comparables à ceux de la Bavière. D’autres territoires inattendus suivent le même chemin : Lugo, Soria ou Palencia, mais aussi des zones industrielles comme Álava ou Bizkaia. Même Barcelone affiche désormais un taux de 7,93 %, proche de la moyenne européenne.

« Dans l’Espagne dite du vide, ceux qui restent ont une activité professionnelle quasi garantie », résume Josep Ginesta, secrétaire général de la patronale Pimec. « Dans les zones industrielles, on observe une transformation vers des services à forte valeur ajoutée, mais avec des difficultés à recruter du personnel qualifié », souligne de son côté Montserrat Guillén, professeure à l’Université de Barcelone.

Cette photographie lumineuse ne doit pas masquer les zones d’ombre. En Andalousie, en Estrémadure ou en Castille-La Manche, le chômage reste structurellement élevé. À Cáceres, Córdoba ou Ciudad Real, il dépasse encore les 16 %, bien loin du plein emploi. La carte du chômage espagnol dessine ainsi une fracture Nord-Sud persistante, que la croissance post-Covid a certes atténuée, mais pas effacée. « Les inerties territoriales sont très difficiles à briser, sauf dans des économies planifiées comme la Chine », rappelle Juan Crespo. « En Italie, l’écart entre le Nord et le Sud est encore plus marqué, mais en Espagne, la fracture reste un frein au développement ».

Plein emploi, mais à quel prix ?

Approcher le plein emploi est une bonne nouvelle sociale : dans les provinces les plus dynamiques, « qui veut travailler le peut », pourrait-on ainsi résumer. Mais cette rareté de main-d’œuvre inquiète aussi les entreprises, qui peinent à recruter, et qui pourrait in fine freiner l’expansion économique.

Plusieurs facteurs aggravent ce paradoxe espagnol, à commencer par les salaires. « Si les rémunérations, surtout les plus basses, ne montent pas, la baisse du chômage risque de s’arrêter », alerte Montserrat Guillén.

Le logement est également un frein : « On ne se déplacera pas de 500 ou 1.000 km pour un emploi si c’est pour dépenser la moitié du salaire en loyer », avertit Unai Sordo, secrétaire général de CCOO, la Confédération syndicale des commissions ouvrières. La structure économique d’une province peut également poser problème : la forte présence de microentreprises ou le poids élevé du tourisme saisonnier peuvent plomber la quête du plein emploi.

Un défi pour Barcelone

Dans la capitale catalane, la situation illustre ces tensions. Les opportunités d’emploi existent, mais le coût du logement rend difficile l’attraction de travailleurs qualifiés. « À l’université, nous peinons à recruter certains professeurs : vivre à Barcelone est trop cher pour les salaires proposés », confie Montserrat Guillén.

Pour réduire encore le chômage, les experts évoquent deux leviers : former davantage les demandeurs d’emploi non adaptés aux postes disponibles et faciliter la mobilité en levant les obstacles liés au logement et aux services de garde. « Le plein emploi est atteignable en Espagne, mais seulement si nous réglons nos nœuds structurels : salaires, logement et politiques sociales », conclut Unai Sordo.

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