Théâtre de la vie nocturne barcelonaise, l’avenue Paral·lel a vu défiler artistes, chanteurs, revues audacieuses et spectacles flamboyants façonnant l’âme festive et transgressive de la ville. Récit.
Souvent comparée à Broadway ou à Montmartre, l’avenue Paral·lel de Barcelone, s’est longtemps illuminée comme une scène vivante et bouillonnante, animée du matin au soir par ses spectacles et son effervescence populaire. Entre faste, cabarets et spectacles audacieux, elle a incarné le cœur du divertissement, naviguant entre censure et provocation à chaque époque de son histoire.
Inaugurée le 8 octobre 1894, l’avenue Paral·lel, conçue par l’architecte et urbaniste Ildefons Cerdà, relie la plaça Espanya à la mer et marque la frontière entre les quartiers de Poble Sec, du Raval et de Sant Antoni. Son nom provient de son tracé, qui suit approximativement le 41ᵉ degré de latitude nord, une ligne imaginaire parallèle à l’équateur.
La Bella Dorita, la « reine de Paral·lel » dans les années 40
Dans les années 20, cette avenue animée était surnommée le « petit Broadway de Barcelone ». Elle faisait écho à New York grâce à ses théâtres, cabarets et cafés-concerts emblématiques, parmi lesquels figuraient El Molino, les théâtres Arnau, Apolo et Victòria. Parfois désigné comme le « Passeig de Gràcia des pauvres », le quartier attirait un public varié, des ouvriers aux artistes, en passant par des intellectuels et une bourgeoisie curieuse.
Entre fête et agitation sociale
Paral·lel n’était pas seulement une avenue de théâtres et de cabarets : c’était le cœur de la vie artistique et populaire barcelonaise, où se succédaient des spectacles très variés. Parmi eux, les cuplés, ces petites chansons satiriques mêlant humour, séduction et engagement social, côtoyaient les revues de cabaret, contribuant à faire du quartier un haut lieu du spectacle populaire.
Bien plus qu’un point de rencontre festif, Paral·lel fut aussi un espace de liberté où culture populaire et idées politiques se croisaient. Les travailleurs et militants y débattaient et s’organisaient, tandis que certains spectacles mettaient en scène des chansons en catalan ou des sketches sur l’histoire et la culture locale, affirmant l’identité catalane. Ainsi, le quartier conjuguait divertissement et réflexion, mêlant humour, critique sociale et messages engagés.
Sous la dictature franquiste, la censure frappait durement les cabarets et théâtres, contrôlant textes, chansons, sketches et numéros pour préserver la morale et empêcher toute contestation politique. Les spectacles ont dû s’adapter : scènes supprimées, costumes modifiés et éclairages ajustés pour contourner les interdictions.
Une scène culturelle toujours active
Malgré ces contraintes, des lieux comme El Molino conservèrent leur esprit provocateur et restèrent des centres de divertissement populaire. Initialement nommé « Petit Moulin Rouge » en référence au célèbre cabaret parisien, le nom fut changé en « El Molino » et la façade repeinte en gris pour éviter toute connotation politique, le mot « rouge » étant proscrit par le régime en raison de ses associations avec le communisme.
Après la mort de Franco en 1975 et la transition démocratique, la vie nocturne à Barcelone explose et les restrictions sur les spectacles disparaissent progressivement. Dans ce contexte, la Sala Bagdad ouvre ses portes la même année et devient la première salle de spectacles érotiques en Espagne. Selon sa propriétaire, Juani de Lucía, il s’agissait du premier lieu officiel proposant ce type de spectacles en direct. Souvent associée à la prostitution dans l’imaginaire populaire, la Sala Bagdad n’a toutefois jamais été un bordel légal, mais un espace ouvert au public pour des représentations érotiques.
Aujourd’hui, le quartier de Paral·lel reste un symbole de la Barcelone populaire, même si son esprit « canaille » est moins marqué qu’autrefois. Certains lieux emblématiques, comme le club Apolo, continuent d’animer le quartier et de perpétuer une scène culturelle dynamique. Paral·lel incarne toujours l’âme festive et créative de la ville, où histoire et modernité se rencontrent au rythme des spectacles et de la vie nocturne.