À Barcelone, les retraités ne restent pas en place. Skipper, musicien ou fidèle du bingo, ils réinventent la vieillesse entre projets, passions et liens de quartier. Une seconde vie active et joyeuse, à la catalane.
Photos : Paula Jaume et Anaïs Bertrand
Au bord des quais du Real Club Marítim, Roger, 87 ans, sourit en caressant son chien avant de grimper sur son voilier. « Quand on est occupé, on vieillit moins vite », confie ce Français installé ici depuis vingt-cinq ans. C’est un fait, vieillir à Barcelone ne se résume pas à profiter du soleil : la ville est un véritable laboratoire pour rester actif et connecté. Qu’il s’agisse d’initiatives personnelle ou d’activités organisées par la mairie, vieillir se conjugue ici avec projets, rencontres et solidarité.
La retraite active sur l’eau
La skipper octogénaire incarne la vitalité. Ancien chef d’entreprise et formateur d’ingénieurs à Paris, Roger a travaillé à travers l’Europe avant de s’installer dans la capitale catalane. Entrepreneur dans l’âme, il vend et loue des bateaux d’occasion, développe un concept de coworking sur voiliers et forme de jeunes skippers. Ses journées sont réglées comme une marée. « Tous les matins je viens au Real Club Marítim, je prends un café, je travaille sur mon bateau, je forme un skipper, et le week-end, je participe à des régates avec des débutants, je ne suis pas du genre à rester inactif » poursuit-il en souriant.
Mais pour Roger, Barcelone représente aussi un retour aux sources familiales : sa mère y est née et a dû fuir sous Franco. Déçu par la France, « un pays où j’ai beaucoup donné mais qui ne m’a rien rendu », il a choisi de revenir où il se sent utile et en sécurité. « Ici, on ne sort pas les cadavres tous les matins comme à Marseille… La police est efficace, on se sent tranquille », raconte-t-il, mi-sérieux, mi-amusé. Pour lui, vieillir à Barcelone, c’est rester actif et continuer à entreprendre, loin des désillusions françaises.
Et il n’est pas le seul étranger à avoir fait ce choix. Selon l’agence britannique Sheperds, Barcelone occupe la 4e place des villes idéales pour les retraités anglais, après Madrid, Cork et Bergen. Le site français Retraites sans Frontières a de son côté placé l’Espagne dans son top 3, pour sa proximité géographique, ses opportunités d’achat immobilier, sa qualité de vie, ses nombreuses heures d’ensoleillement et une langue latine facile à apprendre.
A quelques encamblures de la mer, au centre civique de la Barceloneta, quatre amies rient doucement avant de commencer le bingo. Elles, sont espagnoles. Rosa (85 ans), Nieve (92 ans) et Teresa (88 ans) se connaissent depuis des décennies. « Nous sommes encore en forme ! » assurent-elles en chœur, presque fières. Leur quotidien est rythmé par de petits rituels simples : le marché le matin, un café au lait avec les copines, puis le retour à la maison pour regarder les feuilletons. « Le jeudi, on joue au bingo ici, et le vendredi à la casa dels avis », raconte Rosa, amusée.
De nombreuses structures et activités pour les retraités à Barcelone
Elles participent aussi à d’autres activités organisées par le centre civique : gymnastique douce, randonnées, ateliers divers… Autant d’occasions qui renforcent leurs liens et l’entraide, non seulement entre elles, mais aussi avec d’autres habitants du quartier qu’elles connaissent depuis longtemps. Certes, elles ont laissé de côté la plage « le sable, ce n’est plus pour nous » mais restent profondément attachées à leur quartier. « Barcelone est belle. Nous sommes nées ici et on connaît tout le monde. On sort et on vous dit bonjour, ça c’est très agréable pour les personnes âgées », explique Nieve, le regard pétillant. « On ne va pas à la campagne, on n’en a pas besoin. Ici on est très bien », conclut Teresa, les yeux rivés sur ses cartons de bingo.
Et il faut dire qu’à Barcelone, les initiatives pour seniors ne manquent pas, avec plus d’une centaine de structures qui les accueillent au quotidien pour des activités gratuites, entre centres civiques, bibliothèques, casals et autres espaces spécialisés. Les personnes les plus fragiles et les plus isolées peuvent aussi bénéficier des cantines de quartiers, où manger redevient un acte social.
Albert, 92 ans, trouve quant à lui son plaisir dans la musique. Ancien expert évaluateur en mobilier, ce Catalan a travaillé pendant 40 ans dans une entreprise française avant de prendre sa retraite à 65 ans, il y a 26 ans. Mais loin de se reposer, Albert reste pleinement actif : pianiste officiel et sous-directeur de l’Orchestre Symphonique Amics de la Música de Barcelone, il partage depuis plus de 20 ans sa passion avec ses compagnons musiciens. “La musique est la meilleure médecine”, dit-il, savourant chaque instant passé à jouer entouré d’amis.
Rester actif et s´émerveiller
Romantique dans l’âme, il aime flâner dans les rues de Barcelone, admirer son architecture dont il ne se lasse pas, ses places et ses bâtiments historiques. Il affectionne particulièrement l’Eixample et le quartier de l’Arc de Triomphe, où, nostalgique et les larmes aux yeux, il raconte : « notre premier baiser avec ma femme, dans le Parc de la Ciutadella, reste pour moi un moment suspendu dans le temps. » Les promenades sur la plage de Badalona sont un plaisir simple mais essentiel, une manière de respirer l’air marin et de contempler la ville. Pour lui, l’amour, l’amitié et les liens familiaux sont indispensables pour bien vieillir, et il trouve dans sa ville et sa région un cadre chaleureux où se mêlent souvenirs, passions et émotions.
Car vieillir à Barcelone est un véritable art de vivre pour les seniors, où chaque journée offre l’opportunité d’être actif, de créer et de partager. C’est s’épanouir de différentes manières tout en conservant un lien quotidien avec la ville, véritable cocon, empreint de sécurité pour certains, de familiarité et de convivialité pour d’autres. La capitale catalane transforme la retraite en une véritable seconde vie, riche de projets, de rencontres et de plaisirs simples.