Quel est cet immeuble étrange qu’on aperçoit à quelques kilomètres de Barcelone ? “Une horreur”, nous disent certains, “une bizarrerie” pour d’autres, cette masse de briques qui surplombe les toits ne laisse pas indifférent ! Signé par l’un des plus grands architectes catalans du XXe, on le connaît sous le nom non moins curieux de Walden 7. Visite guidée.
Par Florence Siguret, guide française de référence à Barcelone Autrement – Photos : CC
Dans la banlieue ouest de Barcelone se dresse un géant de briques rouges aux airs labyrinthiques et futuristes. À Sant Just Desvern, loin de passer inaperçu, le Walden 7 et ses 16 étages est une tentative audacieuse de réinventer la façon d’habiter la ville.
Imaginé par Ricardo Bofill et son Taller de Arquitectura à la fin des années 1960, il s’inscrit dans un contexte général de grande croissance économique et démographique en Catalogne. L’industrie bat son plein, attirant des populations venues de toute l’Espagne avec l’espoir de trouver une vie meilleure. La démographie explose et les pouvoirs publics sont souvent pris de court dans l’offre de logements. Des grands ensembles naissent, construits à la va-vite et de façon anarchique, où l’esthétique et le bien-être de leurs occupants sont sacrifiés au nom de l’urgence.
C’est dans ce contexte que le jeune Ricardo Bofill, formé à l’École d’Architecture de Barcelone et surtout à Genève, crée le Taller de Arquitectura avec l’ambition d’offrir une alternative aux modèles urbanistiques de son époque. L’architecte s’entoure de mathématiciens, de philosophes, d’ingénieurs, d’artistes, de poètes, de sociologues et psychologues pour former une équipe pluridisciplinaire capable d’offrir une architecture plus humaine.
Le Walden 7 ou la mise en oeuvre d’une utopie
L’idée du Walden 7 naît dans les années 1960, dans la lignée de projets où Bofill expérimente de nouvelles formes urbanistiques : le barrio Gaudí de Reus, le castillo de Kafka à Sant Pere de Ribes ou encore la Muralla Roja à Calpe. Les réalisations sont labyrinthiques avec une alternance de patios, de coursives, de passages inspirés des médinas, des kasbahs, de l’habitat traditionnel du bassin méditerranéen.
À Sant Just Desvern, Bofill utilisera le site d’une ancienne cimenterie, dont il gardera le corps principal pour y aménager son Taller de Arquitectura et sa résidence personnelle. Le reste sera détruit pour donner place à un immense ensemble de logements collectifs, de “villes dans l’espace”. Du projet général, un seul édifice sera réalisé, le “Walden 7”.
Le nom est un clin d’œil à l’ouvrage utopiste du psychologue américain B. F. Skinner, “Walden Two” dans lequel deux étudiants partent en stage dans une communauté expérimentale libertaire et égalitaire. Le Walden 7 de Bofill serait comme une traduction architecturale de cette société communautaire idéale.
Une construction unique
À l’image de ses projets précédents, au lieu de suivre les préceptes de l’architecture standardisée que connaît l’Espagne franquiste, ou les idées du Corbusier qu’il rejette en bloc à cause de leur manque d’humanité, Ricardo Bofill promeut une architecture inspirée des cités-jardins où l’homme et son histoire sont au coeur de l’organisation spatiale.
La tâche complexe du design de l’édifice est confiée à Ana Bofill, sœur de Ricardo et “waldenita” depuis le début (nom attribué aux habitants d’origine du Walden 7, il en reste quelques-uns aujourd’hui).
Le Walden 7 est conçu comme une ville dans l’espace : le module carré de 30 m2 sert de base pour organiser et distribuer les logements. Au cœur des différents blocs, on trouve des cours intérieures verticales, percées de passerelles, balcons et escaliers, créant des perspectives mouvantes et des espaces semi-publics qui favorisent la rencontre et l’échange. On prévoit des commerces, des services à l’intérieur même de la structure, de manière à créer une véritable ville autogérée.
Briques rouges en extérieur, à l’image de la kasbah, murs turquoises à l’intérieur, loin d’être un monobloc, le Walden 7 est percé d’ouvertures qui ventilent et apportent de la lumière à l’édifice. Au 16e étage, le toit terrasse communautaire est conçu comme un jardin suspendu où l’on peut organiser des événements, se retrouver pour un barbecue ou bien tout simplement profiter des piscines. Avec vue.
Une histoire mouvementée
Le Walden 7 a pourtant failli ne pas exister car avant la fin des travaux, l’entreprise de construction s’est déclarée en faillite, laissant le chantier en suspens. Une myriade de petites entreprises se mobilisent et terminent le bâtiment en 1975, mais ce n’était que le début d’une série de problèmes qui commencent dès 1977 : mauvaises finitions, chutes de céramiques, fissures, infiltrations… L’édifice se couvre de filets de sécurité et le bâtiment est déclaré en ruines, contre la volonté de ses habitants.
C’est la mairie de Sant Just Desvern qui viendra au secours de l’œuvre des Bofill en investissant l’équivalent de 3,6 millions d’euros pour la réhabilitation et la consolidation de l’édifice. Le Walden 7 est déclaré “Bien Cultural de Interés Local” en 1987 et à la fin des travaux en 1995, le bâtiment et ses habitants tournent la page d’une histoire tumultueuse.
À la fois emblématique et polémique, original et contesté, le Walden 7 et ses 50 bougies fait aujourd’hui partie intégrante du paysage de la banlieue de Barcelone, témoignage d’une utopie que les Bofill se sont attachés à transformer en réalité.
Pour en savoir plus, Florence de Barcelone Autrement organise des visites du Walden 7, en compagnie de “waldenitas” (habitants de l’édifice). La prochaine visite est prévue le dimanche 19 octobre à 11h, infos et inscriptions sur Barceloneautrement.com/reserver