Le groupe catalan dirigé par Lito Baldovinos et Enric Rebordosa s’est fait une spécialité de reprendre les cafés et tavernes historiques de Barcelone. Après la réouverture du Bar Font del Gat en avril et du Bar Mundial le 10 septembre dernier, leur prochain défi sera le Bar Funicular, haut lieu populaire de l’Eixample et témoin de l’histoire anarchiste sous Franco.
Amis de longue date, Lito Baldovinos – spécialiste du marketing – et Enric Rebordosa, tous deux Catalans d’une quarantaine d’années, ont grandi en partageant leurs étés à Tamariu. Entre plages ensoleillées et souvenirs communs, ce décor balnéaire a tissé les liens qui scellent encore aujourd’hui leur amitié. Des années plus tard, en 2014, ils se sont retrouvés et ont décidé, presque par hasard, de se lancer dans la restauration en redonnant vie au bar à cocktails La Confiteria. Fondateurs du groupe éponyme, ils ont débuté avec ce lieu emblématique, qui compte aujourd’hui parmi les 18 établissements qu’ils gèrent directement, et près d’une trentaine si l’on inclut leurs collaborations. Sans plan marketing ni stratégie préétablie, leur projet a grandi de manière organique, porté par leur passion et leur volonté de préserver l’âme des bars emblématiques de la ville.
Lors de notre entretien, Lito Baldovinos insiste sur la dimension affective de leur démarche, qui relève avant tout du cœur : « Ce ne sont pas des idées ni une stratégie. Ce sont des opportunités qui se présentent », confie-t-il. Avec son associé, il s’efforce de redonner vie à des adresses historiques en respectant leur identité et leur mémoire, tout en les adaptant aux attentes des nouvelles générations.
La terrasse du Bar Font del Gat à Montjuïc
Sauver des lieux par passion, pas par stratégie
La Confitería a été le premier bar repris par le duo en 2014 et donne aujourd’hui son nom au groupe. Plus qu’un simple projet entrepreneurial, c’est un véritable laboratoire de leur démarche, un lieu où l’histoire et la passion se rencontrent. « Si quelqu’un aime les choses traditionnelles et l’esthétique ancienne, il est plus enthousiasmé à l’idée d’avoir un bar ou un commerce dans cet esprit-là », résume Lito Baldovinos, laissant transparaître toute l’admiration et l’émotion qu’il éprouve pour ces lieux.
Leur méthode est simple mais précise : saisir les occasions qui se présentent, rester fidèles à l’âme des lieux et n’apporter que les ajustements indispensables pour les rendre vivables et accueillants. Au Mundial, restaurant de fruits de mer centenaire, ils ont ainsi patiemment reconstitué la décoration d’origine à partir de photos trouvées en ligne : « Grâce à Google Images (…) nous avons pu remettre presque tous les tableaux à leur place. » explique le Barcelonais en riant. Pour la réouverture, l’expert en marketing a même choisi de fixer les prix en pesetas, un clin d’œil malicieux qui a amusé et séduit les clients, ajoutant une touche de nostalgie à l’expérience.
Le Mundial, Plaça de Sant Agustí Vell
Le Funicular, mémoire populaire et politique
Le Funicular est l’un des projets phares à venir. Ce bar familial, ouvert depuis plus de 50 ans dans l’Eixample, a fermé en juin dernier lors de la retraite des propriétaires. Situé au coin de Consell de Cent et Girona, non loin du Betlem et du Café del Centre, il occupe une place stratégique pour le groupe.
Mais c’est surtout un lieu chargé d’histoire. Selon plusieurs récits, c’est au Funicular que Salvador Puig Antich, militant anarchiste exécuté par le régime franquiste, aurait été arrêté en 1973 après avoir bu son dernier » bitter kas » en public. » C’est un bar qui a une histoire, une histoire liée à celle de la Catalogne avec l’arrestation de Puig Antic « , reconnaît Lito Baldovinos, sa voix teintée de gravité et de respect pour le passé.
Le groupe Confiteria prévoit une réouverture en 2026. L’objectif est de préserver l’esprit du lieu — cuisine maison, tapas classiques, menu du jour populaire — ainsi que son identité visuelle, notamment son store et sa porte rouge bordeaux : « Ce store et cette porte de couleur rouge bordeaux sont iconiques. » Un clin d’œil à Puig Antich sera intégré quelque part dans le bar, mais sans en faire un instrument militant : « Je pense que c’est déjà une page tournée… C’est de l’histoire ancienne » précise Lito Baldovino pour rappeler que, malgré la portée historique, le lieu doit avant tout vivre dans le présent.
Café del Centre, carrer de Girona
Entre patrimoine et modernité : un modèle hybride
Aujourd’hui, le duo gère 18 établissements en propre et près de 30 au total à Barcelone. Certains sont des bars historiques, d’autres des créations contemporaines comme Paradiso, reconnu comme l’un des meilleurs bars à cocktails au monde, Dr. Stravinsky ou Bonavista. Cette diversité reflète une identité catalane à double face : « La Catalogne a toujours été cela : très traditionnelle et conservatrice, mais en même temps tournée vers l’Europe et le monde » souligne le catalan d’une voix calme et pleine de fierté pour ses racines et sa ville.
L’entrepreneur se montre également modeste sur leur rôle dans la préservation du patrimoine : « Ceux qui ont vraiment sauvé le patrimoine ce sont les familles qui ont tenu ces bars pendant 100 ans. Nous, au final, nous les reprenons maintenant « . Leur objectif n’est pas de laisser un héritage figé, mais de faire vivre des lieux où l’histoire et la convivialité continuent de se croiser. Avec le Funicular et d’autres projets à venir, leur modèle montre qu’il est possible de conjuguer mémoire populaire et rentabilité sans perdre l’âme des établissements.