Un article du New Yorker relançant le débat sur le mauvais goût de la Sagrada Familia a récemment fait grand bruit à Barcelone.
En visite dans la cité comtale, le journaliste D. T Max ressasse les arguments de Le Corbusier ou de l’architecte catalan Orial Bohigas qui trouvaient la basilique catalane trop baroque à leur goût. Galvanisés par l’idée d’une joute verbale transatlantique, nous avons décidé de lui répondre en lui faisant goûter la spécialité préférée du Français : la tranche de mauvaise foi, assaisonnée d’une pincée de donnage de leçons et relevée d’un soupçon d’acidité.
Emily à la Sagrada Familia
Cher confrère,
Nous sommes ravis que dans votre missive – sobrement intitulée, Letter from Barcelona – vous révéliez à vos compatriotes l’un des secrets les mieux cachés de Barcelone : la Sagrada Família.
Tel un Christophe Colomb à l’assaut de l’ancien monde, vous brûlez de partager vos découvertes. Assurez-vous toutefois, avant de vous lancer dans une tirade historique, de vérifier que vos interlocuteurs sachent situer l’Espagne sur une carte.
Vous vous étonnez ensuite qu’il y ait des Burger King en Europe ? Et même des magasins appelés « Cannabis Shop » ? Les Catalans ne se nourriraient pas exclusivement de calçots ? Et ne trainent pas devant l’un des lieux les plus touristiques de la ville, pour se lancer dans des castellers acrobatiques à toute heure du jour et de la nuit ? Révélation.
Il y a des touristes à Barcelone
Nous sommes au fait que la situation politique et le système de santé de votre pays sont probablement dignes de ceux que votre président appelle avec une bienfaisance propre à l’Oncle Sam, « les pays de m… »
Vous êtes donc les bienvenus sur le vieux continent. Car, pour tout vous dire, nous vous devons une reconnaissance éternelle pour vos lumières.
Grâce à votre plume, l’Europe s’est rendu compte que ses monuments intéressaient du monde. Qui, en effet, aurait pu soupçonner qu’il y ait foule devant Notre-Dame de Paris, la chapelle Sixtine ou en l’occurrence, la Sagrada Familia ?
Qu’un tas de vieilleries pareilles attirent plus que trois bonnes sœurs, et deux infirmes en quête d’un miracle, est pour le moins surprenant je vous le concède. Que vous ayez pris la peine d’honorer de votre présence ce lieu de culte vous attirera d’ailleurs les grâces immédiates de l’Éternel.
Le patrimoine historique s’abîme avec le temps
Vous constatez avec tristesse une statue légèrement noircie et gagnée par l’érosion. Merci aussi de nous rappeler que la pollution et le passage des saisons peuvent endommager les bâtiments. N’ayez crainte ! Ici nous payons des taxes qui passent notamment dans l’entretien de nos infrastructures. Et, rassurez-vous pour la Sagrada Familia, la basilique finance 97% de sa croissance grâce à ses entrées (quelque généreux mécènes financent les 3% restant).
Les travaux sont longs
Autre surprise… Vous vous étonnez avec une naïveté confondante que les travaux de la Sagrada Familia prennent longtemps. Alors là, chapeau (ou hats off). Si souligner des évidences était une discipline olympique, vous auriez toutes les chances de remporter la médaille d’or du championnat d’enfonçage de portes ouvertes.
Non seulement vous venez de résoudre un mystère, le plus tenace de Barcelone : la Sagrada Familia est-elle finie ? Réponse : presque. Mais en plus, vous relancez un débat de près d’un siècle.
Vous avez dit kitsch ?
Comparer la Sagrada à Disneyland, c’est un peu comme si Las Vegas reprochait à Venise ses places marbrées. Difficile de ne pas sourire en entendant un ressortissant du pays des malls déguisés en pyramides égyptiennes, traiter la Sagrada de « kitsch ». Ici, le kitsch a au moins l’excuse d’un génie visionnaire et mystique, Antoni Gaudí, qui, il y a plus d’un siècle, imaginait une cathédrale-forêt où les colonnes seraient des arbres et les vitraux des soleils. Pendant qu’il travaillait à ses hyperboloïdes et paraboloïdes, vos architectes érigeaient des drive-ins. Alors oui, la Sagrada peut sembler « trop ». Mais peut-être « moins » qu’un sphynx en carton-pâte posé dans une ville au milieu du désert.
Et puis, avouons-le, les touristes qu’on remarque le plus devant la basilique, avec leurs couinements enthousiastes et leurs shorts aux couleurs criardes, ce ne sont pas les Japonais, ni les Français, mais bien vos compatriotes, cher cousin.