Pedro Sánchez et Emmanuel Macron font partie des trois dirigeants européens avec la plus longue longévité dans les arcanes du pouvoir. Leur destin politique est, cependant, sensiblement différent.
Photos : La Moncloa
Les deux sont nés dans les années 70 et arrivés au pouvoir presque au même moment, printemps 2017 pour le Normand, été 2018 pour le Madrilène. Lors des premières années d’exercices, les comparaisons étaient nombreuses entre les deux hommes, relativement jeunes, modernes, centristes avec une forte volonté réformatrice pour leur pays. À l’arrivée, les voies se sont séparées. Démonétisé à la tête d’une nation déclassée, Emmanuel n’est plus que l’ombre floue d’un défunt macronisme alors triomphant. Pedro, lui, reste le combatif auteur de son bestseller autobiographique Manuel de résistance.
Sanchez a réussi là où Macron a échoué en raison de multiples facteurs. Au départ, on l’a dit, les deux hommes étaient centristes. Le socialiste espagnol modéré souhaitait, avant 2018, exercer le pouvoir en compagnie du centre-droit ultralibéral alors incarné par Ciudadanos. Las, après une série de choix funestes, le parti est mort et enterré avant d’avoir atteint l’âge adulte. Sanchez change rapidement son fusil d’épaule et embrasse les propositions de la gauche radicale, un choix qui lui vaut la détestation des élites conservatrices, mais un certain respect dans le peuple de gauche. Autrement dit, le Premier ministre espagnol peut se reposer sur une fan base progressiste enthousiaste.
Ce qui n’est pas le cas de Macron, qui a fait le contraire, passant sans cesse de droite à gauche et de gauche à droite, comme une voiture folle sur l’autoroute, enchainant les queues de poisson. Un chauffard qui se fait rattraper à la barrière de péage par tous les usagers mécontents.
Pedro Sánchez, lui, ne quitte plus le couloir de gauche, une forme d’opportunisme qui lui sauve régulièrement la vie politique. Cerné par une pléiade d’affaires de corruption touchant les plus hauts responsables de son parti, sa femme et son frère, le Madrilène a su habilement croiser le fer avec Israël pour saturer l’actualité. Pionnier de la reconnaissance de la Palestine, usage officiel du terme génocide, embargo sur la vente d’armes à Tel Aviv, soutien des manifestations (même violentes) contre l’État hébreu, Sanchez a accaparé les unes de presse, les JT, les flashs d’information des radios matin, midi et soir. Résultat : encore un insolent 30 % d’intention de vote dans les sondages après sept longues années au pouvoir. Tandis que Macron ne sortira plus du cercueil politique qui s’est refermé sur lui avec la dissolution.
L’art de la négociation
C’est aussi une différence de poids, certes liée aux différences culturelles des deux pays : Pedro Sánchez est un négociateur qui sait réunir autour de lui un arc hétéroclite allant de l’extrême gauche la plus radicale, jusqu’aux bourgeoisies basques et catalanes de droites modérées. Là où le président français n’obtient même plus le soutien de ses anciens Premiers ministres et de la plupart des parlementaires de son bord. Cependant, force est de reconnaitre que Macron a réussi à doter la France de budgets annuels, alors que l’Espagne prolonge les mêmes comptes depuis trois exercices. Car souvent, Sanchez, pour ne pas se retrouver au pied du mur, recule.
Mais si le socialiste aime s’afficher en champion des causes progressistes, ses mesures sont généralement symboliques. Dont le summum semble se dérouler actuellement dans les opérations médiatiques contre Israël. La flottille de Barcelone vers Gaza en est le cruel exemple. Le ministère de la Défense a dépêché un bateau militaire pour protéger les embarquements de la flottille. Le navire s’est baladé sur toute la Méditerranée, coûtant 200 000 euros pour une utilité absolument nulle. Car au grand désarroi des activistes, le bateau du gouvernement s’est arrêté une journée avant la sortie des eaux internationales, au moment oú les militants en auraient eu besoin pour recevoir une assistance. Forcément, donner l’ordre à un navire militaire de traverser les eaux protégées par Tsahal aurait été officiellement une déclaration de guerre de l’Espagne envers Israël. Avec son bateau, le Premier ministre a encore fait dans le symbole. Bien loin de ce tempérament macronien prompt à foncer dans le tas, avec le prix de tous les pots cassés depuis sept ans, qu’il convient de régler avant de quitter, tôt au tard, l’Élysée.
Enfin, le visage humain des deux hommes n’est pas tout à fait le même. Dans le Manuel de résistance cité plus haut, de manière auto-dithyrambique, Pedro Sánchez explique à quel point il a été ému, touché, révolté, secoué par la situation financière d’une mère célibataire croisée dans une rue catalane pendant une campagne électorale. « J’ai pris son numéro de téléphone et je l’ai donné à mes équipes pour que l’on s’occupe personnellement de ses problèmes, auxquels des solutions concrètes ont été apportées », nous apprend le supposé empathique Premier ministre. « Je traverse la rue, je vous en trouve [du travail] » répond comme en écho, le mannequin glacé de l’Élysée.