dimanche 19 octobre 2025

Sitges : au-delà des plages, un trésor moderniste à l’ombre de Barcelone

Entre mer, lumière et imaginaire, Sitges incarne l’esprit créatif de la Catalogne. Héritière du modernisme et du rêve artistique de Barcelone, la ville mêle douceur de vivre et audace architecturale.

À quelques kilomètres au sud de Barcelone, Sitges s’étire le long de la Méditerranée, où le bleu de la mer semble prolonger le ciel. La ville attire depuis des siècles peintres, poètes et architectes, fascinés par sa lumière unique et son atmosphère de liberté. Ruelles étroites, façades blanchies à la chaux, terrasses ensoleillées et horizon infini : Sitges déploie un charme qui pourrait sembler simple et tranquille. Mais derrière cette apparente douceur se cache une histoire riche et vibrante, celle d’une cité où l’art et l’architecture se rencontrent au quotidien.

Un laboratoire d’artistes et de modernisme

À la fin du XIXᵉ siècle, Sitges devient un foyer d’avant-garde pour les créateurs catalans. Alors que Barcelone impose son modernisme avec Gaudí, Domènech i Montaner ou Puig i Cadafalch, Sitges attire peintres et écrivains grâce à sa lumière, sa mer et son cadre intime.

Parmi eux, Santiago Rusiñol occupe une place centrale. En 1893, il installe son atelier dans le Cau Ferrat, une ancienne maison de pêcheur qu’il transforme en demeure moderniste avec l’aide de l’architecte Francesc Rogent i Pedrosa. Il en fait un véritable lieu de vie et de création, où se côtoient peinture, sculpture et objets décoratifs. Sa maison devient rapidement le cœur intellectuel et artistique de Sitges, un espace d’échanges et d’inspiration où s’invente une nouvelle manière de vivre l’art au quotidien.

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Face au Cau Ferrat, le Palais Maricel, construit par Miquel Utrillo entre 1913 et 1918 pour abriter la collection d’art de l’industriel américain Charles Deering, se dresse à proximité de la demeure de Rusiñol. Entre gothique, baroque et modernisme, ses façades sculptées et ses balcons ornementés montrent une autre facette de l’architecture catalane : un art où esthétique, fonctionnalité et poésie se rencontrent. Ces deux édifices rappellent que Sitges n’a jamais été une simple station balnéaire, mais un véritable laboratoire où l’imaginaire se concrétise dans la pierre et le fer forgé.

Le modernisme des “indianos”

Derrière de nombreuses maisons modernistes de Sitges se cache l’histoire des “indianos”, ces Catalans partis au XIXᵉ siècle tenter leur chance aux Amériques — à Cuba, Porto Rico ou Argentine — et revenus enrichis. Entre 1850 et 1920, beaucoup firent construire dans leur ville natale des demeures somptueuses, symboles de réussite et de reconnaissance sociale.

Ces maisons, souvent érigées entre 1880 et 1915, mêlent les codes du modernisme catalan à des influences exotiques : larges vérandas, céramiques colorées, ferronneries travaillées et jardins luxuriants. On les surnommait parfois les “maisons des Amériques”, car elles portaient en elles le souvenir d’un ailleurs lointain.

Parmi ces demeures emblématiques, la Casa Bonaventura Blay, construite à la fin du XIXᵉ siècle, occupe une place particulière. Commandée par Bonaventura Blay i Milà (1860–1911), un “indiano” originaire de Sitges qui fit fortune à Guantánamo, à Cuba, la maison témoigne de son succès et de son attachement à sa ville natale. L’édifice se distingue par sa façade élégante, sa tourelle et ses vitraux colorés, typiques du style de l’époque.

Des maisons d’indianos aux hôtels de charme

Flâner dans Sitges, c’est découvrir un modernisme vivant et habité, où l’imaginaire se mêle au réel. Les rues pittoresques sont bordées de maisons modernistes, souvent héritées des indianos, aujourd’hui transformées en hôtels de charme. Ces demeures ont conservé leurs intérieurs d’origine : mosaïques colorées, ferronneries délicates, vitraux et plafonds sculptés.

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Casa Antoni Carreras Robert

Parmi elles, la Casa Bonaventura Blay, transformée en hôtel sous le nom El Xalet, perpétue l’esprit du modernisme catalan tout en reliant le passé colonial au patrimoine artistique de la ville. Son intérieur, soigneusement préservé, révèle le raffinement et le savoir-faire artisanal propres à cette période. Ces demeures ne sont pas de simples décors : elles expriment la philosophie du modernisme, celle de faire de l’art un compagnon du quotidien, mêlant beauté, fonctionnalité et créativité.

Autre exemple emblématique, la Casa Antoni Carreras i Robert, construite en 1908 par l’architecte Eduard Mercader i Sacanella pour l’indiano Antoni Carreras i Robert, illustre parfaitement cette alliance entre prestige, exotisme et modernité. Devenue aujourd’hui le Sitges Royal Rooms, elle conserve sa façade élégante et ses ornements modernistes, témoignant du goût de l’époque pour la lumière, la couleur et la fantaisie architecturale.

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Casa Antoni Carreras Robert

Sitges, entre héritage et créativité

Sitges conserve un équilibre rare entre patrimoine moderniste et vie contemporaine. Chaque façade, vitrail et balcon révèle l’esprit audacieux et poétique de la ville. Longtemps refuge pour intellectuels et artistes, elle incarne aujourd’hui un esprit créatif vivant, que reflète son festival international de cinéma fantastique, symbole de la capacité de Sitges à mêler tradition et innovation.

Au-delà des événements, le véritable trésor de la ville réside dans son architecture habitée, où chaque détail dialogue entre passé et présent. Le modernisme catalan y devient une philosophie de vie, où la beauté et l’art nourrissent le quotidien et l’imaginaire de ceux qui la découvrent.

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