Avec l’impôt sur la fortune improductive, la France veut taxer plus largement les patrimoines élevés. De l’autre côté des Pyrénées, l’Espagne maintient son impôt sur la richesse. Entre les deux pays, qui fait payer le plus ? Cette nouvelle version change-t-elle la donne ?
Le 31 octobre 2025, l’Assemblée nationale a adopté un projet de réforme baptisé impôt sur la fortune improductive. En plus de l’immobilier, cet impôt prendra en compte l’ensemble des biens de valeur : or, bijoux, œuvres d’art, voitures de collection, jets privés, yachts, cryptomonnaies, ou liquidités dormantes comme certaines assurances-vie.
Objectif affiché : inciter les plus fortunés à investir leur argent vers des placements qui créent de la valeur ou des emplois, plutôt que de laisser leur capital dormir. Qu’est-ce que cela change concrètement pour les Français, qu’ils vivent en France ou à l’étranger, et pour tous ceux qui possèdent un certain patrimoine ?
Côté France : un nouvel impôt pour réveiller les fortunes dormantes
Le nouvel impôt sur la fortune improductive viserait les patrimoines supérieurs à 1,3 million d’euros, avec un taux unique de 1 %. Aujourd’hui, l’IFI (l’impôt sur la fortune immobilière) ne taxe que l’immobilier, selon un barème progressif allant de 0,5 % à 1,5 %.
Il existe actuellement un abattement (une réduction de la base imposable) de 30 % sur la résidence principale. La principale nouveauté, c’est qu’il sera remplacé par une réduction d’1 million d’euros, applicable au bien immobilier de son choix — résidence principale ou secondaire. L’objectif est de simplifier le système et de concentrer l’effort sur les plus gros patrimoines. Exemple : si une maison vaut 1,5 million d’euros, l’impôt ne s’applique que sur les 500 000 € restants, après abattement d’1 million d’euros.
Autre changement majeur : la notion de productivité. Un bien qui rapporte (par exemple, un appartement loué à long terme) sera considéré comme productif et ne sera donc pas taxé. À l’inverse, un bien ou un placement jugé dormant, par exemple un compte non investi, un fonds en euros ou une collection de bijoux, entrera dans le calcul de l’impôt.
Pour Nicolas Saignol, conseiller en gestion de patrimoine, les effets se feront sentir chez les contribuables aisés, qu’il s’agisse d’un Français installé en Espagne avec un bien en France, ou l’inverse. Le nouveau dispositif concernera des deux côtés des Pyrénées : « Le risque, c’est qu’une résidence secondaire, ajoutée aux autres biens, leur fasse dépasser le seuil au final », souligne-t-il. Dans ce cas de figure, ils deviendraient concernés par ce nouvel impôt.
Pour ses partisans, la réforme vise à rétablir une forme de justice fiscale et à pousser les plus riches à investir dans l’économie productive plutôt que dans la finance. Pour ses détracteurs, c’est tout l’inverse : elle risque de décourager les placements en France, voire d’entraîner une fuite des capitaux.
Côté Espagne : un patrimoine taxé dans sa globalité
En Espagne, la richesse reste largement imposée. L’impôt sur le patrimoine (Impuesto sobre el Patrimonio, ou IP) s’applique à tous les biens — immobiliers, placements financiers, œuvres d’art, etc… dès 700 000 € de patrimoine net par personne, et même 500 000 € en Catalogne. Chaque contribuable bénéficie d’un abattement d’environ 300 000 € sur sa résidence principale. Le barème est progressif et varie selon les régions : en Catalogne, il va de 0,21 % à 3,48 % pour les plus gros patrimoines.
Depuis 2022, un second impôt s’y ajoute : l’impôt de solidarité sur les grandes fortunes (Impuesto temporal de Solidaridad de las Grandes Fortunas, ou ITSGF), applicable à partir de 3 millions d’euros. Prévu initialement comme temporaire, il est devenu permanent en 2024. Résultat : même les contribuables de Madrid, longtemps exemptés grâce à des avantages régionaux, sont désormais concernés.
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Espagne ou France : où paie-t-on vraiment le moins ?
Difficile de trancher : tout dépend de la région, du niveau de patrimoine et de la nature des biens.
Nicolas Saignol illustre le dilemme : « En tant que résident fiscal espagnol, j’ai 500 000 euros à investir. Est-ce plus intéressant d’acheter une maison à Perpignan ou sur la Costa Brava ? Il n’y a pas de bonne réponse : investir en France peut faire dépasser le seuil du nouvel impôt, mais en Catalogne, on commence à être taxé dès 500 000 euros tous actifs confondus. On est pris de tous les côtés, il n’y a rien à faire. »
En résumé : avec la réforme française, la charge fiscale des deux pays tendrait à s’équilibrer autour de 3 à 4 millions d’euros de patrimoine global. Au-delà de 10 millions, l’Espagne reste globalement plus lourde, surtout en Catalogne. Entre 1 et 3 millions, tout dépend du type d’actifs et de leur localisation.
Patrimoine : l’heure de faire le tri
Nicolas Saignol conseille de prendre les devants : « C’est le bon moment pour bien cartographier ses actifs. Qu’a-t-on et où ? Vérifier leur nature et leur localisation. Puis voir si le critère de productivité s’applique. »
Le texte doit encore être validé par le Sénat avant d’entrer en vigueur. Il viendra remplacer l’actuel impôt sur la fortune immobilière (IFI), limité aux biens fonciers. Reste à savoir s’il tiendra sa promesse : taxer plus justement, sans faire fuir les capitaux. En attendant, mieux vaut savoir où dort et où travaille son patrimoine.