lundi 22 décembre 2025

TRIBUNE : Quand l’expatriation n’est plus une aventure mais un besoin

Le lundi, Equinox laisse ses colonnes à une personnalité francophone de Barcelone, experte de son domaine. Cette semaine, c’est Guillaume Rostand, président de la French Tech Barcelona, qui prend la plume.

Illustration par Mohamed Hassan

Dans le taxi qui nous menait à la soirée de Noël de la French Tech Barcelona, nous discutions à bâtons rompus avec la députée Nathalie Coggia et son suppléant Nicolas Marty.

Le sujet presque inévitable : les départs de France.

Est-ce simplement les médias qui se complaisent dans un « French bashing » facile, ou assistons-nous à une lame de fond, une réalité plus profonde et plus silencieuse ?

Les chiffres officiels tentent de nous éclairer. Au 31 décembre 2024, le ministère des Affaires étrangères recensait 1,74 million de Français inscrits au Registre mondial, mais estime la communauté expatriée à près de 2,5 millions de personnes.

Plus révélateur encore, le rythme de ces départs s’accélère, avec une croissance de 2,8% en 2024 et une prévision de 3,6% pour 2025. Loin d’être un épiphénomène, cette tendance s’ancre et se confirme.

Pourtant, au-delà des statistiques, il y a l’intuition, le sentiment. Un bruit médiatique parfois gênant, fait de polémiques et de caricatures, qui occulte une réalité plus intime.

Celle des messages que nous recevons, nous qui avons franchi le pas, devenus malgré nous des points de contact pour ces amis, ces connaissances, ces inconnus qui songent à partir. Ils ne cherchent pas l’aventure, mais une issue. Ils ne rêvent pas d’exotisme, mais d’un quotidien apaisé.

Face à cette détresse discrète, un constat amer s’impose : nous sommes souvent tristes, voire impuissants, de ne pas pouvoir aider notre pays. De le voir se vider de ses forces vives, de ses talents, de ses espoirs.

Alors, à qui la faute ? Serait-ce celle des médias, qui peignent un tableau uniformément noir ? Celle des politiques, dont les décisions semblent parfois si déconnectées du réel ? Celle de l’Europe, de la mondialisation, de Trump ? Ou, question plus dérangeante, la nôtre ? Avons-nous, par notre départ, une part de responsabilité dans ce sentiment de délitement ?

Quand j’ai quitté la France pour la Chine en 2009, je me sentais presque aventurier. J’ai le souvenir intact de ce vertige, de cette sensation que « tout est à construire ici ». C’était un départ choisi pour l’inconnu, pour l’audace, pour la construction.

Aujourd’hui, je sens que l’aventure a cédé la place au soulagement. Une étude récente de la plateforme Preply sur les motivations des expatriés français est éclairante : la première raison de départ est la recherche d’une meilleure qualité de vie (41%), suivie par le climat (30%) et le coût de la vie ou la fiscalité (28%). Les opportunités professionnelles n’arrivent qu’en sixième position (14%). On ne part plus seulement pour construire une carrière, mais pour se construire une vie, tout simplement. Pour fuir un « état d’esprit français » jugé pesant (25%) et une situation politique qui inquiète (15%).

Je ne condamne personne, car chaque parcours est légitime. Mais je me demande, et je nous demande : que pouvons-nous faire ? Comment participer à relancer notre pays, même à distance ?

Sans accuser, sans chercher de boucs émissaires, mais avec une volonté qui dépasse nos propres trajectoires individuelles. Peut-être en agissant comme des ponts, pas seulement économiques, mais aussi culturels et intellectuels. En partageant nos expériences, non pour vanter un ailleurs idéalisé, mais pour inspirer un ici renouvelé. En refusant la fatalité du déclin et en portant, où que nous soyons, l’ambition d’une France qui retrouve le chemin de la confiance et de la sérénité.

L’expatriation ne doit pas être une fuite, mais une étape. Un enrichissement personnel qui, demain, pourra redevenir un atout pour la collectivité. C’est peut-être là, notre plus belle manière d’aider notre pays.

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