Toutes les semaines, Equinox laisse ses colonnes à une personnalité francophone à Barcelone, experte de son domaine. Aujourd’hui, c’est Charlotte Mahdavy, artiste pop urbaine, qui prend la plume après l’acte de vandalisme qui a dégradé la fresque féministe la plus célèbre de Barcelone mercredi soir.
À Barcelone, le street art ne se contente pas d’embellir les murs : il leur donne une voix. Dans les ruelles, sur les façades oubliées, dans les lieux de passage, l’art urbain se déploie comme un miroir de la société, un écho vibrant aux luttes contemporaines, notamment féministes.
Barcelone est un véritable terrain d’expression pour les artistes urbains. Certaines œuvres, au-delà de leur esthétique, deviennent des symboles d’engagement. Dans le quartier du Raval, plusieurs fresques attirent l’attention par la force de leur message.
Parmi elles, celle dédiée à la lutte contre la traite des femmes, régulièrement restaurée par ses artistes créatrices Naiara Striano, Tropidelia et Pixapixa, malgré des actes de dégradation. Ou encore les jardins cachés comme Carrer de l’Aurora, où résonne la voix d’Andres Benitez, Carrer de Sant Bartomeu, espace de solidarité ouvert aux plus démunis, gardé par Flora, doyenne du quartier. Sans oublier la fresque en hommage à la Palestine, restée intacte plus d’un an sur les murs du Jardin des Trois Cheminées.
El Born aussi se distingue par son engagement. Il y a encore quelques années, à proximité du Parc Hortet de Forat, un petit passage autrefois orné de portraits en noir et blanc des habitants témoignait de l’âme du quartier. Ces mêmes habitants sont aujourd’hui sous le choc, face à un acte de vandalisme ciblé.
Parmi les œuvres les plus marquantes : « Femmes libres et rebelles », fresque puissante et iconique de l’artiste Mariel Soria. Huit portraits de femmes engagées, figures historiques ou contemporaines, incarnent chacune un combat universel. Avec minutie et sensibilité, l’artiste a voulu célébrer la force, la diversité et la résilience des femmes. La fresque évolue avec son temps : Gisèle Pelicot venait tout juste de faire son apparition.
Mais dans la nuit du 21 mai, l’œuvre a été vandalisée. Des graffitis ont recouvert les visages de voiles, dans une tentative perçue comme une volonté de censurer, de masquer une fois encore la parole des femmes. Une modification brutale, choquante, qui soulève de nombreuses questions. Une chose est sûre : l’impact est fort, et la fresque continue de faire parler. Les habitants sont venus dès le lendemain tenter de la nettoyer en vain.
Al carrer de la Bòria a Barcelona hi ha aquest mural d’homenatge a les dones. L’ha dibuixat i dissenyat la Mariel Soria, però en la realització hi ha treballat la gent del barri. Avui l’hem trobat vandalitzat d’aquesta manera. No calen paraules. pic.twitter.com/fEiSogeJ9y
— Manel Barceló Serrano (@serran_manel) May 22, 2025
Le street art réagit au monde qui l’entoure. Il capte les tensions, les espoirs, les injustices. À Barcelone, l’œuvre de Mariel Soria entre en résonance directe avec un autre mur, situé juste à côté : une longue liste de victimes de féminicides en Espagne. Chaque nom, détails des conditions de decès et un symbole colorée (comme un coeur, un papillon, ou encore un oiseau) inscrit sur une simple feuille A4, raconte une vie, une tragédie. Leurs histoires sont exposées avec pudeur et poésie. C’est une manière douce mais percutante de faire mémoire.
Ce contraste avec d’autres pays comme la France est frappant. Là où les fresques sont souvent crues et violentes, ici, l’émotion passe par la douceur. Mais le message reste tout aussi puissant : ne pas oublier, ne pas se taire.
L’Espagne est aujourd’hui en avance sur les questions féministes. De nombreux pays européens s’inspirent de son engagement. Pour aller plus loin, je vous recommande le podcast « Féminisme, l’avant-garde espagnole : Yo te creo » sur Radio France. En quatre épisodes, il explore ce mouvement à travers ce slogan devenu emblématique : « Yo te creo » Je te crois.
La fresque vandalisée a bouleversé les riverains. Beaucoup y voient une tentative supplémentaire de faire taire les femmes et de réécrire leur rôle dans l’espace public. Mais l’indignation s’est rapidement transformée en solidarité.
Comme le dit Simone de Beauvoir, elle aussi représentée sur le mur : « Vous devez rester vigilante toute votre vie durant. »
Et ce combat prend ici une forme artistique, collective, nécessaire.
Cette fresque n’est pas qu’une œuvre.
C’est un cri visuel, une trace tangible d’une lutte invisible, une invitation à repenser notre société et la place qu’elle accorde ou refuse aux voix féminines.
Peut-on encore ignorer ce que représente le street art aujourd’hui ?
Je ne le crois pas.