Pas fans du tumulte parisien mais pas prêts à renoncer à leurs racines, certains Français installés à Barcelone jonglent entre deux villes, deux vies. Ni tout à fait ici, ni complètement là-bas, ils ont fait du va-et-vient un mode de vie assumé. Témoignages.
Photos : Clémentine Laurent
Il y a ceux qui coupent complètement les ponts, changent de numéro de téléphone et ne veulent plus entendre parler de la France. Et puis il y a les autres. Ceux qui s’installent à Barcelone sans vraiment quitter Paris, qui vivent entre deux langues, deux cultures, et qui ont fait du grand écart une hygiène de vie. Ils sont expats depuis longtemps, mais ne se revendiquent plus d’aucun port d’attache. Ni touristes, ni expatriés : à l’image de Reynald et d’Alexandre, ils ont choisi de ne pas choisir.
Reynald, 45 ans, vit à Castelldefels, au sud de Barcelone, « pas loin de l’aéroport ». Un critère stratégique, quand on prend l’avion toutes les deux semaines pour aller travailler à Paris. Cet ancien de Louvre Hotels a longtemps enchaîné les allers-retours entre la Défense et la côte catalane. Aujourd’hui, il développe les activités de Refruiting, une startup de paniers de fruits livrés en entreprise, et dit apprécier cette routine rythmée par les décollages. « Avant, Paris c’était la Défense, le calvaire. Maintenant, je la redécouvre. J’aime bien y retourner. Je redonne de la valeur à ce que je vois, à ce que je mange. Et puis, je savoure d’autant plus Barcelone en rentrant. »
Pas question de trancher. Alexandre, lui, n’envisage même pas de rester plus de quelques semaines sans remonter à Paris. À 48 ans, après vingt-cinq ans d’expatriation (Stockholm, Atlanta, Madrid), il a posé ses valises à Barcelone, « pas loin, ensoleillée, pas trop chère ». Il y vend des places VIP pour Roland-Garros ou le Ballon d’or, à destination des entreprises françaises. « 99% de mes clients sont à Paris. Je manage une équipe là-bas, mon plus gros client y est basé. » Entre deux missions, il s’installe dans un Airbnb à vingt mètres de l’agence. « Je profite des deux. J’ai la clientèle française et la qualité de vie espagnole. »
« Je conseille à tout le monde ce mode de vie »
Dans les faits, cette vie exige une logistique bien huilée. Il y a les billets d’avion, les locations d’appartement, les justificatifs pour les impôts. Si le statut d’autónomo espagnol est connu pour ses charges sociales élevées, il offre tout de même plus de souplesse qu’un CDI parisien. Et surtout, le chiringuito remplace avantageusement la cantine d’entreprise. « Tu bois ton café au soleil avec ton ordi, t’es presque plus performant que dans un bureau gris de Paris », rigole Alexandre.
Le soleil, justement, revient dans chaque phrase. Tout le reste peut se discuter – les salaires, les loyers, la paperasse – mais pas la lumière. « Barcelone, c’est la douceur. On s’y sent plus en sécurité, les gens sont moins stressés », résume Reynald. Avant d’ajouter : « Mais bon, la gastronomie française, la culture, tu ne les trouves pas ici. Ça me manque. »
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Alors, ils circulent, capitalisent sur leur mobilité, sur ce besoin de rythme et de contraste. « Voyager, ça fatigue, mais ça ressource. Tu prends un peu de culture, tu sors de ta bulle. Je conseille à tout le monde ce mode de vie. Et quand tu reviens, tu vois la valeur de Barcelone », insiste Reynald.
Ces travailleurs du « entre-deux » ne rêvent ni d’expatriation parfaite, ni de retour définitif. Ils ont intégré l’aller-retour à leur quotidien, et font de leur ancrage multiple une stratégie autant qu’un équilibre. En somme, des vies satellites qui tournent entre Paris et Barcelone, sans jamais se poser tout à fait.