Un peu comme l’île des enfants perdus dans Pinocchio, Barcelone est un refuge pour tous les grands ados d’Europe, bien décidés à ne pas grandir trop vite. Une bulle hors du temps où il est socialement accepté de vivre en colocation à 35 ans, de sortir trois fois par semaine, et de transformer chaque week-end en aventure improvisée. Le salaire ? Pas mirobolant. Le job ? Pas toujours passionnant. Mais la vie a ce petit goût salé qui fait oublier le reste.
Seulement voilà qu’à un moment donné, souvent sans prévenir, certains décident de faire leurs valises pour plusieurs jours ou pour toujours (ou presque). Et là, c’est le drame. Car, derrière cette transhumance d’apparence innocente, le retour au pays merveilleux où tout le monde est devenu adulte pendant que vous viviez votre meilleure vie en tongs, est rude.
Barcelone, capitale des adulescents
Qui dit jeune adulte à Barcelone dit fiesta jusqu’au petit matin. Et à Barcelone, la fête peut vite devenir une soupape pour fuir un quotidien pas toujours rose. Les chiffres de la consommation de cocaïne parlent d’eux-mêmes : Barcelone sait comment faire semblant que tout va bien, même quand la réalité cogne à la porte. Et vous, vous êtes laissé bercer par cette illusion, jusqu’à ce que votre billet de retour remette les pendules à l’heure : la gueule de bois est impitoyable.
De l’autre côté des Pyrénées, personne n’est dispo pour aller boire un verre à l’improviste un mercredi soir. Vos amis ont un planning plus rempli que celui du président de la République et la date de vos retrouvailles semble plus lointaine que celle de votre prochain rendez-vous chez le dermato. Quand vous arrivez enfin à les voir, vous découvrez avec effroi que les conversations tournent plus autour du prix du mètre carré à Gif-sur-Yvette et de prénoms en trois lettres que de la prochaine soirée techno.
Tutoiement vs vouvoiement
En Espagne, le tutoiement est une institution. On se tutoie comme on respire, et on distribue les « guapa » et « guapo » comme des petits bonbons. La boulangère vous offre un sourire et un « cariño » en rendant la monnaie, et même les yayos (les papis-mamies qui colonisent les trottoirs sur leurs chaises en plastique dès le mois de juin) lancent aux passants des perles de sagesse, sans jamais oublier le petit compliment qui réchauffe le cœur.
En arrivant en France, c’est la douche froide. Vous n’êtes plus guapo du tout. À croire que l’heure d’avion qui vous sépare de Paris se calcule en années lumières. Entre El Prat et Orly, vous avez pris 10 ans.
Le vouvoiement et les « Monsieur » ou « Madame » tombent comme un couperet sur votre jeunesse envolée. Et si vous tentez de blaguer en lançant un « Je ne suis pas si vieux quand même… », on vous répondra avec un sourire crispé, ou pire : un silence gêné.
Dress code : retour à la dictature du sérieux
À Barcelone, personne n’a jamais vraiment su ce que signifie « s’habiller pour le travail ». Short, tatouages apparents, t-shirt de groupes : la panoplie de l’expat barcelonais ressemble plus à une tenue de festival qu’à celle d’un (plus si jeune) cadre dynamique. Et pourtant, tout le monde s’en moque. Après tout, l’efficacité n’a jamais été une question de chemise repassée.
En France, le look start-up nation est roi : baskets blanches (mais propres), jean brut (mais sobre), et polo boutonné (mais pas trop). Vous pensiez jouer les originaux ? Mauvaise pioche. Vous passez pour l’ado en stage découverte. Et cachez ce tatouage que je ne saurais voir !
Décalage horaire
À Barcelone, le travail commence quand il commence. On s’offre un café de dix minutes (qui en dure parfois vingt), la pause dej’ s’étire sans culpabilité jusqu’à 15 heures, et personne ne vous regarde de travers si vous quittez le bureau à 18h pétantes. De retour en France, les codes sont immuables : pause déj minutée, réunions à 8h30 comme si c’était une évidence, et surtout : cette fierté mal dissimulée de rester au bureau « un peu plus tard que les autres » Ici, on ne vous félicite pas d’avoir optimisé votre journée, on vous soupçonne de fainéantise si vous êtes à la porte à 18h01.
Quand la journée de travail termine, commence la vraie vie, où les rendez-vous à l’improviste sont monnaie courante. Entre 18h et minuit, tout le monde est dehors. Entre 1 et 99 ans, toutes les tranches d’âge semblent se côtoyer joyeusement dans les parcs, sur les plages ou en terrasse. Les soirées n’ont pas d’heure officielle, et personne ne vous en voudra si vous arrivez en retard à votre propre anniversaire. En France, on a tendance à rester avec les gens de son âge, de sa classe sociale, de sa tribue, sans trop se mélanger, et à 23h c’est l’heure d’ailler au schloff pendant que côté Péninsule, les gens se mettent tout juste à table.
Là, où la vie barcelonaise vous a appris à improviser, la France vous renvoie à la dure réalité d’un quotidien réglé comme un coucou helvète.
Alors partir ou rester ? Vous avez deux heures.