1,50 € ou 5 € ? La guerre des cafés fait rage à Barcelone

À gauche, les vieux bars qui servent des cafés con hielo à 2 € sans wifi ni latte art, avec le « bzzz » de la clim en fond. À droite, les temples design où le flat white au lait d’avoine frôle les 5 € et les enceintes crachent une playlist lo-fi. Barcelone oscille entre deux gorgées et ne sait plus vraiment quel goût donner à son café.

Dans les ruelles de l’Eixample, les comptoirs en formica cèdent peu à peu la place aux tasses en céramique artisanale. Exit le café con hielo servi avec un verre d’eau tiède et deux glaçons bancals : place au flat white filtré à froid, latte à l’avoine et cappuccino mousseux à 4,50 euros. Barcelone, longtemps royaume du café pressé avalé debout au comptoir, change de goût… et de prix.

Dans les bars de quartier, rien n’a bougé. On commande toujours son café con leche pour 1,50 € ou son café con hielo à 2 €, on tape la bise au serveur, et on repart en deux minutes chrono. Mais quelques rues plus loin, un nouveau décor s’impose : bois clair, playlists lo-fi, siphons design et moulins à café dernier cri. Ici, l’expresso s’appelle désormais « single origin » et s’affiche à 3 ou 4 €. Quant aux cafés glacés, certains flirtent avec la barre des 5 €.

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Les latte à motifs et les frappuccinos trouvent aussi leur public. (crédit : Espai Joliu)

Des cafés à 1,50 € aux lattés à 5 €

Cette montée en gamme n’est pas propre à Barcelone, certes. Mais dans une ville où le café fait partie intégrante de l’ADN populaire – peu cher, accessible, presque un service public – la transition intrigue. Longtemps, le café dans la cité comtale se résumait à un expresso pressé au comptoir, à peine sucré avant de filer au boulot. Puis est arrivée la « troisième vague » – ce mouvement né aux États-Unis qui traite le café comme un grand cru. Ici, on ne parle plus de caféine mais de terroir, de notes florales et d’arômes de fruits rouges. Les baristas deviennent sommeliers, les moulins s’ajustent au gramme près, et les méthodes lentes – V60, Chemex, Aeropress – transforment la pause café en rituel. Dans ces temples du grain, chaque gorgée raconte une histoire : celle d’une ferme éthiopienne, d’une torréfaction artisanale et d’une obsession du goût qui redessine les cafés de Barcelone. Derrière le comptoir, on parle fermentation et arômes fruités, plus que caféine et coup de fouet matinal. Une expérience qui en vaut la peine, selon certains expats convaincus.

« C’est un café différent, les bars les achètent à un prix différent ! On ne peut pas comparer la qualité de ces cafés, ni leur goût et donc pas non plus leur prix ! », défend Fruzsi, une Hongroise présente à Barcelone depuis 2021. Même son de cloche pour Alexandra, pour qui les saveurs les plus originales valent le détour (et le prix). « Je n’aime pas le café con leche y hielo, ça a un moins bon goût et tu en renverses toujours quand tu le verses dans le verre avec des glaçons. Mais quand je bois un café dehors, je prends mon latte à la pistache avec du lait de coco, en grand format, pour 4 € dans mon café préféré », affirme cette expat arrivée dans la ville il y a un an. « Je pense que la saveur vaut bien ces 2 euros de plus. Tout est plus cher aujourd’hui, y compris les grains de café de qualité », explique de son côté Lisa*, 26 ans. « Je n’aime vraiment pas ces cafés à 2 €, mais c’est personnel. En général, j’achète du bon café pour en boire chez moi, et sortir prendre un café, c’est un petit plaisir.« 

D’autres se montrent par contre plus sceptiques sur le concept. « Je bois mon café noir. J’ai quelques adresses où je vais, selon que je travaille ou que je suis chez moi. C’est pour ça que je ne vais jamais dans ces cafés « branchés » : je n’ai pas besoin de tout ce qu’ils rajoutent », explique Katherine, une Anglaise de 51 ans. « C’est pareil pour plein d’autres choses… Ils prennent quelque chose de populaire (le café) et inventent tout un tas de déclinaisons sophistiquées autour, qui au final s’éloignent complètement du produit d’origine. Moi, ça me va très bien de rester avec mon café noir des vieux bars espagnols. »

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Les vieux cafés-bars espagnols sont-ils en voie d’extinction ? (crédit : Café de l’Opéra)

« Une fois que tu ajoutes tous ces extras et des glaçons, tu ne sens presque plus le goût du café. Je ne vais dans les cafés “design” que pour un ristretto. Et j’achète du café de qualité pour boire à la maison », commente également Lili, 31 ans, traductrice freelance. D’autres encore pointent le prix rébarbatif. « Moi aussi, je trouve que le prix du café dans les établissements spécialisés est souvent un peu abusif. J’y vais de temps en temps seulement », indique Lourdes, une Espagnole originaire de la région valencienne. « J’ai été choquée de voir qu’un matcha ici peut facilement coûter 7,50 €… alors qu’à Londres c’est maintenant moins cher, 4,50 £ ! Il faut se l’avouer : Barcelone est devenue la ville la plus cool d’Europe – et ce n’est plus donné », renchérit Silvia, une Italienne qui a développé sa propre marque de vêtements.

Les bars « de toute la vie » en danger ?

La question agite donc la ville : ces nouveaux temples du café vont-ils faire disparaître les bars historiques, souvent familiaux, où l’on commande encore « un cortado » sans lever les yeux du journal ? Les loyers grimpent, les habitudes changent, et la clientèle étrangère – digital nomads, touristes, expats – pousse la demande vers des standards plus internationaux.

Certains parient sur une cohabitation. Les vieux bars gardent leur clientèle fidèle – retraités, ouvriers, habitués du quartier – tandis que les cafés branchés séduisent les jeunes créatifs et les télétravailleurs en quête de wifi rapide. « Je ne m’inquiéterais pas trop – ces cafés con hielos pas chers ne vont nulle part (moi aussi je les adore) », prédit Suzanne, guide touristique française dans la capitale catalane. Barcelone branchée ou Barcelone pressée : au final, à chacun son café…

*prénom d’emprunt

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