Les Espagnols sont-ils les meilleurs papas d’Europe ?

Equinox Barcelone paternité

Alors que le gouvernement espagnol vient tout juste d’allonger les congés paternités – déjà les plus étendus d’Europe – ses voisins regardent, rêveurs, les « super-papas » espagnols. Mais en sont-ils vraiment ? Eléments de réponse.

Photos : mairie de Barcelone

En Espagne, les pères disposent depuis 2021 d’un congé de naissance identique à celui des mères : seize semaines, rémunérées à 100 %, non transférables, garanties par la Sécurité sociale. Une réforme pionnière saluée à travers l’Europe, et que le gouvernement vient encore d’étendre à dix-neuf semaines. Le pays se hisse ainsi en tête des classements européens en matière d’égalité parentale : 42 % des congés de naissance sont pris par des hommes, loin devant l’Italie (4 %), l’Allemagne (7 %) ou la France (11 %).

Mais derrière la vitrine égalitaire, la réalité est plus nuancée. « La loi est géniale, mais elle ne change pas autant qu’on le pense », résume Vicent Borrás Catala, sociologue à l’université autonome de Barcelone (UAB) et membre du Quit (Centre d’études sociologiques sur la vie quotidienne et le travail). « Ce qu’on sait, c’est que les hommes prennent soin des enfants quand ils ont l’occasion d’être seuls avec eux. Quand le congé est simultané, ils restent dans un rôle d’aidant. »

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Or, c’est bien là que le bât blesse. La législation espagnole impose aujourd’hui que les six premières semaines de congé soient prises par les deux parents en même temps. Pour les dix suivantes, leur usage dépend de l’accord de l’employeur. Résultat : la majorité des couples prennent leur congé en même temps, rarement en relais. Et ce sont encore les femmes qui, après ces seize (maintenant dix-neuf) semaines, prolongent l’absence via des congés non payés ou des temps partiels.

« Environ 55 % des pères prennent leur congé en même temps que leur partenaire, seulement 20 % se relaient pour assurer une continuité du soin à domicile », rapporte la Plateforme pour des Congés Équitables de Naissance et d’Adoption (PPIINA), qui voit dans la nouvelle mesure une occasion manquée de garantir l’égalité femme-homme au sein de la parentalité.

« Il faut aussi que les femmes laissent faire »

Vicent Borrás pointe un autre frein : la culture du travail. « L’Espagne reste marquée par un présentisme très fort dans les entreprises. Et sur les postes à responsabilité dans le privé, ni les hommes ni les femmes ne profitent réellement des congés. » Pire encore, certaines personnes détournent le système : « Il y a des fraudes. Certains salariés utilisent ces congés non pas pour s’occuper d’un enfant, mais juste pour ne pas travailler. »

Malgré tout, le sociologue y voit un levier important. « Les lois ne font pas tout, mais elles ouvrent des possibilités. On sait que quand un homme s’implique dès les premières années de vie, il reste impliqué par la suite. » Encore faut-il que l’espace lui soit laissé. « Il faut aussi que les femmes laissent faire. En Espagne, il y a toute une mouvance autour de la Liga de la Leche, de la fusion mère-enfant… Cela n’aide pas les pères à trouver leur place. »

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Le poids de l’héritage familial freine également l’évolution. « On vient d’une génération de papas absents. En Espagne, les hommes ont souvent grandi dans des foyers où les pères ne passaient pas plus d’un quart de leur temps avec leurs enfants. Ici, la paternité commence souvent quand l’enfant est grand. » La loi change les choses, certes, mais les habitudes, elles, prennent plus de temps.

Dans les pays nordiques, où les congés parentaux égalitaires existent depuis plus longtemps, la norme est différente et le partage des tâches plus ancré dans les moeurs.

Alors, les Espagnols sont-ils les meilleurs papas d’Europe ? Pas encore. Ils sont sans doute les plus présents… mais pas toujours au bon moment. Pour que le modèle espagnol devienne réellement égalitaire, il faudra aller plus loin que la loi, et changer les moeurs en profondeur, ce qui demande du temps. Heureusement, on en a : l’égalité totale entre les femmes et les hommes ne sera atteinte qu’en 2061, selon l’association Closing Gap. 

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